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Gergely Gosztonyi[1]: Questions conceptuelles et formes de censure au 21e siècle* (Annales, 2023., 249-254. o.)

https://doi.org/10.56749/annales.elteajk.2023.lxii.15.249

1.

Il y a peu d'accusations plus faciles que la suivante: « censure! » Usitée dans des débats sensés, la plupart du temps inutilement. Cette pratique démontre ce que Derek Jones soutient dans son encyclopédie mondiale de la censure de près de 3 000 pages: la censure ne se limite pas à l'autorisation préalable des contenus, et le concept doit être interprété aussi largement que possible pour protéger pleinement la liberté d'expression.[1]

Une analyse historique peut nous aider à comprendre comment nous sommes passés d'un usage intense de la censure au cours des 17ème et 18ème siècles au 21ème siècle, où la censure politique en tant que concept devient presque insignifiante et où de nouveaux types de mécanismes de contrôle privés émergent. Comment et pourquoi les États ont "privatisé » la question de la gestion et la réglementation du contenu, et pourquoi nous voyons aujourd'hui de nouvelles problématiques émerger sur Internet. Comment cette forme de communication, qui a été essentiellement créée pour être libre, a été soumise - presque par définition - à une réglementation légale, annihilant de fait l'essence de cette liberté.[2]

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2.

Il est généralement admis que la liberté d'expression est un droit humain fondamental. C'est la pierre angulaire de la démocratie, un élément clé de la protection de tous les droits de l'homme et l'une des conditions de base du développement de la démocratie et, comme l'a déclaré la Cour européenne des droits de l'homme dans plusieurs arrêts, de l'épanouissement de tous les êtres humains. Il faut cependant reconnaître que des siècles de lutte pour atteindre une liberté d'expression complète sont vains si la censure empêche la publication de certaines opinions. De plus, la censure est difficile à analyser empiriquement car elle voudrait passer inaperçue. Les définitions de la censure sont innombrables, mais il n'existe pas de définition unique et largement acceptée. Sophia Rosenfeld affirme que « la censure n'est pas actuellement un sujet facilement négociable (...) Il semble qu'il n'y ait plus de consensus au niveau des théories sur ce qui peut être considéré comme de la censure. »[3] Selon Eric Barendt, « le terme de censure n'a pas de sens réel lorsqu'il est appliqué à des conventions sociales ou à des pratiques qui ne font que rendre la communication plus difficile pour certains individus. »[4] Sur le même point, Matthew Bunn affirme que de nombreux historiens craignent une expansion voir une distortion excessive du terme, entraintant dans ce cas, la perte de son sens originel. Comme argument en faveur d'une interprétation plus large, il plaide pour l'introduction d'une "Nouvelle Théorie de la Censure » qui, après la définition libérale classique de la censure et les concepts marxistes qui l'ont contestée, reconnaît que, dans les années 2000, la censure était « un phénomène diffus et omniprésent dans lequel un certain nombre d'acteurs (y compris des conditions structurelles impersonnelles) agissent en tant que censeurs efficaces. »[5] Tout en admettant bien sûr qu'un cadre d'interprétation trop large peut nuire à l'efficacité de la réglementation juridique, mes recherches ont clairement démontré qu'une utilisation large de la censure peut conduire à une protection plus complète de la liberté d'expression.

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3.

Dans le contexte de la censure, j'ai examiné la manière dont elle s'exprime sur Internet. Il est généralement admis qu'internet a impacté nos vies à plusieurs echelons. D'abord en fournissant un accès instantané à une quantité incroyable d'informations, mais aussi en transformant nos conceptions de l'État, de l'économie, l'éducation, ainsi que nos relations humaines et nos anxiétés relatives au monde d'aujourd'hui. Dans l'Affaire Cengiz et Autres c. Turquie, la Cour européenne des droits de l'homme a déclaré que « Internet est aujourd'hui devenu l'un des principaux moyens d'exercice par les individus de leur droit à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées. »[6] Cependant, il devient également de plus en plus évident que même les États démocratiques sont confrontés à de nouveaux défis liés à ce nouveau média. On peut dire qu'avec l'émergence et la diffusion d'Internet, outre la censure politique classique, un certain nombre de cas rendent difficile à déterminer les critères de la censure, de telle manière que la portée du discours et le contenu qui en résulte a changé significativement.

4.

D'après mes recherches, la doctrine fait référence à une variété de solutions sur le thème des restrictions de contenu dans le contexte de la gouvernance d'internet: ces solutions alternant entre restrictions légales et illégales.[7] Le cas le plus évident est celui où la restriction est motivée par des raisons de gestion du trafic ou de sécurité du réseau, ce qui est bien sûr - en principe - légal. On admet volontiers que la gestion du trafic est nécessaire pour gérer de manière optimale le volume croissant du trafic sur les réseaux Internet. Toutefois, certaines interventions sont moins acceptables. En general, les entreprises privées qui restreignent ou ralentissent l'accès à certains contenus sont dans l'illégalité, à moins de justifier d'un motif légitimes. Mes recherches révèlent, deux types de restriction de contenu d'origine étatique: d'une part, lorsque les fournisseurs d'accès Internet restreignent certains contenus selon les injonctions de l'État (par décision de justice ou par la loi), et d'autre part, lorsque les États restreignent ou rendent inaccessible l'accès à certains sites ou même proposent un éventail de services, sites ou applications complètement alternatifs afin de conserver sa mainmise, en exercant une censure systèmatique.[8]

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D'après mes recherches, le défi juridique de la liberté d'expression face à la censure est multidimensionnel: il s'agit d'intégrer un outil médiatique de masse, aujourd'hui à la portée de milliards d'usagers sur cinq continents, dans un cadre juridique, exploité par des sociétés américaines avec une approche (fondamentalement) américaine, et de traiter des questions (juridiques) qui reflètent l'immense variété des cultures juridiques mondiales. En outre, Internet a développé au fil des ans son propre ensemble de normes, que les utilisateurs acceptent par défaut. Ainsi, les méthodes verticales, centralisées et étatiques de la réglementation traditionnelle sont complétées par des accords horizontaux coopératifs qui aboutissent à un « environnement complexe de structures interdépendantes, avec un large éventail de mécanismes formels et informels opérant dans de nombreuses occasions. »[9]

Entre 2010 et 2015, les acteurs politiques et les États qu'ils gouvernent, reconnaissant peu à peu les problèmes croissants, et ne pouvant plus fermer les yeux, admettent que la regulation interne par les entreprises de médias sociaux ne peut se poursuive. À ce titre, Jack M. Balkin indique que, « Les États-nations, comprenant cela, ont développé de nouvelles techniques de réglementation de la liberté d'expression. En plus de cibler directement les utilisateurs, ils ciblent désormais les dirigeants d'entreprises privées, dans l'espoir de les contraindre ou de les coopter pour qu'ils régulent les discours au nom de l'État-nation. »[10]

5.

Dans ma recherche, j'ai développé une triple analyse basé sur diverses solutions réglementaires.[11] Aux États-Unis d'Amérique, la réglementation d'Internet est incluse dans la Section 230(c)(1) du Communications Decency Act (CDA). Le gouvernement américain admet que la question de la protection de la liberté d'expression et les décisions de retrait des contenus illégaux ou préjudiciables demeurent à l'initiative des entreprises gérantes de réseaux sociaux. Cela correspond au "modèle d'immunité ».

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L'originalité (relative) du système européen réside dans la procédure couramment utilisée de « notification et retrait », qui introduit un système de conditions et de procédures en plusieurs étapes: le fournisseur de services une fois informé d'un contenu manifestement illicite doit prendre des mesures pour le retirer dans un délai déterminé. L'Union européenne a donc opté pour le modèle dit du « safe harbor », qui prévoit l'application d'une exemption non automatique.

Aussi bien en Europe qu'aux États-Unis, les discussions sur un nouvel encadrement des pratiques sur Internet ont commencé au milieu des années 2000, en proposant initialement le cadre CDA230 ayant ensuite été remplacé par le cadre DSA-DMA constituant donc l'étape suivante.[12] Une troisième voie semble vouloir émerger, il s'agit du modèle chinois, qui repose sur une surveillance accrue et un contrôle total. La solution chinoise repose sur la souveraineté d'internet, c'est-à-dire le principe selon lequel tous les pays du monde ont le possibilité de choisir souverainement la manière dont ils développent et réglementent leur propre réseau internet. Les trois voies différentes sont ce qu'Anu Bradford appelle les voies axées sur le marché, les voies axées sur les droits et les voies axées sur l'État.[13]

6.

En 2023, ce qui demeure des idées fondatrices en déclin de la cybercriminalité soit la nature intrinsèquement libératrice de la technologie et d'internet, et la lutte permanente pour la décentralisation de la communication, où chacun (privilégié comme défavorisé) peut disposer de l'espace de communication qui lui revient. La régulation de la cybercriminalité sans être toujours mal orienté donne quand même lieu a des abus: ainsi le blocage du contenu d'internet à des fins politiques est encore courant dans de nombreux pays.

Mes recherches révèlent comment les opinions et les divers contenus qui sont ou ont été publiés ont été réglementés par l'État et l'Église au fil des siècles, parfois sous une forme religieuse, parfois sous une forme morale, parfois sous une forme politique. La technologie ayant permis à un nombre croissant de personnes d'accéder aux contenus, les outils juridiques et politiques se sont considérablement affinés au fil du temps. La lutte pour la liberté d'expression a semblé connaître un tournant avec l'avènement d'internet, considéré à ses débuts comme un moyen de communication offrant une li-

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berté totale. Cependant, le mythe d'un espace libre de droits a rapidement commencé à se dissiper, avec l'appartition des nouveaux dirigeants du monde numérique, la croissance des entreprises technologiques qui disposaient d'un pouvoir illimité sur l'expression et la publication de contenu. La réglementation est souvent fragmentée et caractérisée par un manque de transparence et d'applicabilité. La nature transfrontalière d'internet est mise au défi par des solutions isolées émanant d'États-nations de plus en plus fermés, sans réussir à fournir des solutions à long terme et juridiquement robustes. En outre, « la promesse d'un accès ouvert à des sources d'information indépendantes et diversifiées n'est en fait une réalité que pour une minorité de personnes vivant dans des démocraties avancées. »[14] Il serait difficile d'affirmer que, quelques décennies après l'avènement et l'adoption généralisée d'internet, le monde sait exactement où il va. ■

REMARQUES

* Cet article a été soutenu par la bourse de recherche János Bolyai de l'Académie Hongroise des Sciences et par le Nouveau Programme d'Excellence Nationale ÚNKP-23-5 du Ministère de la Culture et de l'Innovation provenant du Fonds National pour la Recherche, le Développement et l'Innovation.

[1] D. Jones (éd.), Censorship. A world encyclopedia (Censure. Une encyclopédie mondiale), (Routledge, London and New York, 2015), xi.

[2] À ce sujet, le texte suivant a été publié en hongrois: Gosztonyi G., Cenzúra Arisztotelésztől a Facebookig. A közösségi média tartalomszabályozási gyakorlatának komplexitása, (Gondolat Kiadó, Budapest, 2022). DOI: https://doi.org/10.24362/cenzura.gosztonyi.2022. Une version anglaise considérablement élargie et mise à jour: G. Gosztonyi, Censorship from Plato to Social Media. The Complexity of Social Media's Content Regulation and Moderation Practices (La censure de Plato aux médias sociaux: La complexité des pratiques de régulation et de modération du contenu des médias sociaux), (Springer Nature International AG, Cham, 2023).

[3] S. Rosenfeld, Writing the History of Censorship in the Age of Enlightenment (Écrire l'histoire de la censure au siècle des Lumières), in D. Gordon (éd.), Postmodernism and the Enlightenment. New Perspectives in eighteenth-century French intellectual history (Postmodernisme et Lumières. Nouvelles perspectives dans l'histoire intellectuelle française du 18e siècle), (Routledge, New York and London, 2001) 117. DOI: https://doi.org/10.4324/9781315023229-7

[4] E. Barendt, Freedom of Speech (La liberté d'expression), (Oxford University Press, Oxford, 2007) 151. DOI: https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780199225811.001.0001

[5] M. Bunn, Reimagining repression: New Censorship Theory and after (Réimaginer la répression: La nouvelle théorie de la censure et l'après), (2015) 54 (1) History and Theory, 27. DOI: https://doi.org/10.1111/hith.10739

[6] Cengiz et Autres c. Turquie, App nos 48226/10 et 14027/11 (CEDH, 1er décembre 2015), [49.].

[7] Lendvai G. F., A Facebook "elitbírósága" kritikai megközelítésben: A Facebook Oversight Board nyolc kiemelt kérdése és lehetséges megoldásai (Un regard critique sur le « tribunal d'élite » de Facebook: huit questions clés et des solutions possibles du Conseil de surveillance de Facebook), (2023) 19 (3) Iustum Aequum Salutare, 227-243.

[8] Gosztonyi G., Az internet-hozzáférés korlátozásának gyakorlata az Emberi Jogok Európai Bírósága előtt (La pratique de la restriction de l'accès à Internet devant la Cour européenne des droits de l'homme), (2021) 10 (1) In Medias Res, 91-101.

[9] A. Hintz, Social media censorship, privatized regulation, and new restrictions to protest and dissent (Censure des médias sociaux, réglementation privatisée et nouvelles restrictions à la protestation et à la dissidence), in L. Dencik and O. Leistert (éds), Critical Perspectives on Social Media and Protest: Between Control and Emancipation (Perspectives critiques sur les médias sociaux et la protestation: Entre contrôle et émancipation), (Rowman & Littlefield, London, 2015), 111.

[10] J. M. Balkin, Free speech in the algorithmic society. The new school of big data, private regulation and the regulation of expression (La liberté d'expression dans la société algorithmique. La nouvelle école du big data, la régulation privée et la régulation de l'expression), (2018) 118 (7) Columbia Law Review, 1153. DOI: https://doi.org/10.2139/ssrn.3038939

[11] G. Gosztonyi, Early regulation of social media liability issues in the United States and the European Union (Réglementation précoce des questions de responsabilité liées aux médias sociaux aux États-Unis et dans l'Union européenne), (2021) (Special Issue) Jogtörténeti Szemle, 21-26.

[12] O. Moravec et al., Digital Services Act Proposal (Social Media Regulation) (Proposition de loi sur les services numériques (réglementation des médias sociaux), (2021) 14 (2-3) Studia Politica Slovaca, 166-185. DOI: https://doi.org/10.31577/SPS.2021-3.5

[13] A. Bradford, Digital Empires. The Global Battle to Regulate Technology (Empires numériques. La bataille mondiale pour réglementer la technologie), (Oxford University Press, New York, 2023). DOI: https://doi.org/10.1093/oso/9780197649268.001.0001

[14] P. Bennett and M. Naim, 21st-century censorship (La censure du 21e siècle), (2015) 14 (1) Columbia Journalism Review.

Lábjegyzetek:

[1] L'auteur est Habil Associé, Université Eötvös Loránd (ELTE), Faculté de Droit et de Sciences Politiques, Chaire de l'Histoire du Droit Hongrois.

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