Megrendelés

Pauline Le Monnier de Gouville[1]: Présomption d'innocence et État de droit (Annales, 2022., 203-223. o.)

https://doi.org/10.56749/annales.elteajk.2022.lxi.16.203

Abstract

The presumption of innocence is not only a rule of evidence, but also a subjective right that protects any accused person from prejudice. However, the developments and changes in French society are fuelling mistrust of this principle. The growing use of pre-trial detention and glassed-in courtrooms for security purposes, the freeing of victims of sexual and gender-based violence to speak out, and the excesses of social networks: the presumption of innocence is now a challenge for the rule of law. New form of justice, new responses, new issues: the analysis must go beyond the sole view of the jurist to embrace society as a whole, since the presumption of innocence is a bearer of essential values. It corresponds to a philosophical choice of our society and to an objective that every rule of law sets itself.

Keywords: rule of law, presumption of innocence, pre-trial detention, freedom of speech, glass boxes, judicial communication, media, social networks, criminal trial guidelines, criminal justice, pre-trial phase

Introduction

« La présomption d'innocence, un défi pour l'État de droit », tel est l'intitulé du rapport publié en octobre 2021 par le groupe de travail constitué à la demande du Garde des sceaux, M. Éric Dupond-Moretti.[1] Ce groupe de travail, présidé Mme la ministre Élisabeth Guigou, avait pour objectif de réfléchir à la possibilité de renforcer le respect de ce principe cardinal du système judiciaire français, la lettre de mission du Garde des Sceaux évoquant le développement des moyens de communication électronique et des réseaux sociaux qui conduit à « donner un écho sans précédent à des dénonciations de faits de nature pénale ».[2]

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L'analyse, au demeurant, dépasse le seul regard du juriste pour embrasser la société tout entière, tant la présomption d'innocence est porteuse de valeurs essentielles. Elle correspond à un choix philosophique de notre société et à un objectif que se donne tout État de droit. La présomption d'innocence, donc, c'est un postulat.

« Colosse aux pieds d'argile », selon le professeur Pradel,[3] le principe de présomption d'innocence est affirmé par les article préliminaire et 137-1 du Code de procédure pénale, l'article 9-1 du Code civil, l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, mais aussi par l'article 6§2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 14.2 du Pacte international relatifs aux droits civils et politiques, l'article 11§1 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, l'article 48§1 de la Charte des Droits fondamentaux de l'Union européenne. C'est dire si le principe est solidement établi.

L'expression « présomption d'innocence » désigne la règle juridique en vertu de laquelle une personne est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité soit établie. Cette règle a la particularité d'être à la fois une règle de fond et de forme. Il s'agit en effet avant tout d'un droit subjectif, qui vise à préserver la personne poursuivie des préjugés. Il y va de l'intérêt de la personne mais aussi de l'harmonie sociale, que Merle et Vitu estimaient perturbée par le spectacle médiatique et l'afflux d'informations relatives aux affaires pénales.[4] Maître Daniel Soulez-Larivière formulait en des termes éclairés la problématique liée à la question de l'effectivité du principe : « [...] il s'agit [...] de déterminer si les procédures et les pratiques [...] permettent [...] à la personne [innocente] soupçonnée judiciairement et mise en examen d'avoir la capacité de se sortir d'affaire sans dégât »;[5] la question est donc celle de « capacité procédurale ». Le droit positif poursuit cette ambition : l'article 9-1 du Code civil prévoit un recours permettant à la personne présentée publiquement, avant condamnation, comme coupable de saisir un juge, y compris en référé, afin d'obtenir une rectification ou la diffusion d'un communiqué. Corrélativement, l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse interdit de « publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique ».[6] L'article 35 ter de la loi, quant à lui, punit la diffusion d'une image d'une personne identifiable menottée ou placée en détention provisoire, mais aussi la publication d'un sondage relatif à la culpabilité d'une personne.

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Si la présomption d'innocence est un droit subjectif, elle est aussi une règle de forme, qui permet de savoir sur qui va peser la charge de la preuve. Cela vise la réunion des éléments de preuve mais également la démonstration de la culpabilité, rôle dévolu au Ministère public. Telle est la conséquence directe du principe de présomption d'innocence, ce qu'affirme le Conseil constitutionnel dans sa décision remarquée des 19 et 20 janvier 1981.[7]

Le tournant majeur tient à l'adoption de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes, qui crée un article préliminaire au sein du Code de procédure pénale et inscrit dans ce dernier, pour la première fois, le principe de la présomption d'innocence. Vingt-deux ans plus tard, cependant, force est de reconnaître que le décalage avec la pratique est considérable et ce, sous deux aspects. Le premier tient à l'existence de dispositifs de contrainte dont notre justice s'accommode et qui pose la question de leur compatibilité avec la présomption d'innocence. Comment admettre que l'on prive une personne de sa liberté avant toute condamnation (telle est en effet la conséquence d'une mise en détention provisoire) ? Comment admettre encore, lors du procès, la mise en place d'un dispositif de box vitré sans considérer que cela porte atteinte à la présomption d'innocence ? Ces prévisions révèlent une forme d'inadéquation, d'antinomie intrinsèque à notre système judiciaire qui relève de la fiction juridique. Le second aspect, ensuite, du décalage entre l'affirmation du principe et sa mise en æuvre pratique tient au traitement de l'information relative aux affaires pénales, notamment de la part des médias, sur les réseaux sociaux, et à la confusion d'individus présentés comme présumés coupables, peu important, au fond, la décision judiciaire ultérieurement rendue. C'est souligner là la confrontation, sinon l'opposition, entre les vérités - judiciaire, médiatique -, mais aussi entre le temps de l'information et celui des investigations. « Le temps de la justice n'est pas celui des médias », affirmait l'ancien président de la Cour de cassation M. Pierre Truche,[8] et le meilleur des enquêteurs ne pourra jamais lutter contre la rapidité de la diffusion de l'information.[9] Or dans l'inconscient collectif, l'atteinte portée à la présomption d'innocence importe peu, dès lors que l'information est utile[10] et la cause poursuivie légitime. Indéniablement, sous ce deuxième aspect, la question se renouvelle à l'heure des réseaux sociaux, de la médiatisation des affaires, et du mouvement de « libération de la parole » né en 2017 à la suite de l'affaire Weinstein et de l'onde de choc que provoquera les hashtags Metoo et

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Balancetonporc.[11] Si la cause poursuivie - la lutte contre les violences sexuelles et sexistes -est assurément légitime, derrière ce processus et les mots libérateurs se cache l'un des grands maux de la justice française et plus particulièrement la délicate conciliation entre présomption d'innocence, droit à l'information, liberté d'expression. Il y va du respect des principes qui forgent l'État de droit.

Au regard de ce qui précède, il apparaît que la présomption d'innocence est avant tout un objectif que l'État de droit poursuit, tout en prévoyant paradoxalement des dispositifs qui y portent atteinte - là est la fiction, voire le mirage. Compte tenu des évolutions sociétales et de communication, la présomption d'innocence est aussi désormais un défi pour l'État de droit. En 1956, soit deux ans avant la création de l'article 11 du Code de procédure pénale relatif au secret de l'enquête et de l'instruction, l'avocat général Raymond Lindon affirmait, de façon prémonitoire : « L'information tend à être une grande dévoreuse de droits individuels ».[12] Il faut ainsi pouvoir en contrôler la diffusion afin, notamment, de ne pas porter atteinte à la présomption d'innocence. Comment procéder ? Les mots contre les maux, les mots aux sources des maux ? Dans quelle mesure les mouvements sociaux peuvent-ils faire avancer la cause poursuivie tout en préservant la présomption d'innocence ? Quel rôle du droit pénal dans ces avancées, mais aussi quel cadre ? Il s'agit de tracer des limites, non de poser des bâillons.

C'est en définitive une tension qui émerge, sous ces deux aspects : la présomption d'innocence, se révèle être à la fois une fiction (I.) et un défi (II.) pour l'État de droit.

I. Une fiction

La présomption d'innocence s'envisage comme un objectif de l'État de droit, que les principes directeurs du procès pénal permettent, progressivement, de consolider (1.). La fiction tient à l'inadéquation de ce principe avec des dispositifs qui, en eux-mêmes, y portent atteinte (2.).

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1. Les principes directeurs du procès pénal au soutien de la présomption d'innocence

Le système français s'est construit autour de la nécessité de consacrer le principe de présomption d'innocence, lequel s'inscrit dans un paysage procédural. Cette volonté est ancienne puisque le concept émergeait déjà dans les sources canoniques dès le IX[e] siècle avant d'être formulé au XIV[ème] siècle par le cardinal et canoniste Jean Lemoine, concept selon lequel « tout individu est présumé innocent jusqu'à la preuve contraire ».[13] Le principe subsista tout au long de l'Ancien Régime, Louis XVI affirmant notamment, le 1[er] mai 1788, que « le premier de tous les principes en matière criminelle veut qu'un accusé, fût-il condamné à mort en première instance, soit toujours présumé innocent aux yeux de la loi jusqu'à ce que sa sentence soit confirmée en dernier ressort ».[14] Par la suite, les députés de l'Assemblée constituante de 1789 ont souhaité inscrire dans la loi les droits inaliénables dont dispose chaque citoyen, au rang desquels figure celui pour l'accusé de ne pas voir son innocence remise en cause dès le début de la procédure. Cependant, la présomption d'innocence ne s'envisageait pas comme un principe directeur du procès pénal mais comme un rempart contre toute atteinte à la liberté. Ce n'est finalement qu'au début du XX[ème] siècle que l'expression « présomption d'innocence » est formalisée, grâce aux écrits de l'avocat et professeur de droit criminel René Garraud. Surtout, ce n'est que sous la Ve République, avec la loi n° 70-643 du 17 juillet 1970, que le législateur consacre dans la loi des dispositifs visant à renforcer les garanties individuelles qu'impliquent, notamment, la présomption d'innocence. La loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale supprime, quant à elle, le terme d'« inculpation » pour lui préférer celui de « mise en examen ». C'est donc un travail sur les mots qui est réalisé puisqu'à cette évolution sémantique correspond la volonté de décorréler l'existence d'indices graves ou concordants à l'encontre d'une personne mise en cause de tout pré-jugement sur sa culpabilité. La loi de 1993 a ensuite introduit un principe de proportionnalité entre les soupçons pesant sur la personne et la gravité des mesures de contraintes prises à son encontre : le placement en garde à vue est désormais subordonné à l'existence de soupçons, rendant impossible une telle mesure à l'encontre d'un simple témoin. Sept ans plus tard, la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 consacre, en tête du Code de procédure pénale, le principe de la présomption d'innocence. À la lecture de l'exposé des motifs de la loi, la présomption d'innocence apparaît comme « un principe cardinal de la procédure pénale dans un État de droit », dont découlent les autres principes directeurs du droit procédural français.

Depuis plus de vingt ans, de multiples évolutions, forgeant le droit à un procès équitable, viennent ainsi au soutien du principe de présomption d'innocence. Ce n'est

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en effet qu'à travers l'affirmation de garanties du procès que peut se consolider ce principe ; à défaut, celui-ci serait une coquille vide, un postulat sans substance. Droits de la défense considérablement renforcés, égalité des armes, principe du contradictoire (lequel, a été accentué par la loi n° 2021-729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire puisque le suspect ayant vu sa présomption d'innocence bafouée publiquement par un moyen de communication au public peut désormais demander à accéder au dossier de la procédure[15]), mais encore exigence d'un délai raisonnable,[16] droit de se taire et de ne pas s'auto-incriminer : autant de garanties de nature à enserrer dans plusieurs conditions les dispositifs procéduraux susceptible de porter atteinte aux droits et libertés fondamentaux. En particulier, s'agissant du délai raisonnable, la loi du 15 juin 2000 a introduit le principe de principe de limitation de la durée de l'enquête à l'article 75-1 du Code de procédure pénale : ainsi, lorsque l'enquête est diligentée sur instruction du procureur de la République, celui-ci fixe un délai dans lequel les investigations doivent être réalisées. Si l'enquête est menée d'office, les officiers de police judiciaire doivent rendre compte au procureur de son état d'avancement au bout de six mois. La loi du 22 décembre 2021, quant à elle, prévoit une disposition de nature à limiter la durée des enquêtes préliminaires, puisque celles-ci ne peuvent désormais durer plus de deux ans à compter du premier acte d'investigation accompli.[17] Dans le cadre d'une instruction préparatoire, il est prévu que celle-ci ne doit pas dépasser un « délai raisonnable au regard de la gravité des faits reprochés à la personne mise en examen, de la complexité des investigations nécessaires à la manifestation de la vérité et de l'exercice des droits de la défense l'affaire ».[18] Dans l'hypothèse où l'instruction ne serait pas clôturée au bout de deux ans, le juge d'instruction devrait, par le biais d'une ordonnance, expliciter les motifs de continuation de la procédure. Au regard de ces éléments, la limitation de la durée de la phase préparatoire du procès pénal est donc une préoccupation majeure du législateur, l'individu mis en cause demeurant présumé innocent et devant, dans cette perspective, faire l'objet d'une procédure d'une durée raisonnable. Quant au droit de se taire et de ne pas s'auto-incriminer, sa notification, qui découle de la présomption d'innocence, a été consacrée par la loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. La loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la Directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, en date du 22 mai 2012, a étendu ce droit à l'audition libre. Le Conseil constitutionnel, quant à lui, a également participé au renforcement de l'effectivité de la présomption d'innocence en s'assurant que le droit de se taire soit garanti à tous les stades de la procédure. Ainsi,

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il affirme que ce droit découle de la présomption d'innocence,[19] puis, par plusieurs décisions ultérieures,[20] déclare inconstitutionnels les articles 396, 199 et 145 du Code de procédure pénale relatifs à la présentation du prévenu devant le juge des libertés et de la détention, puis la chambre de l'instruction, dès lors que n'a pas été prévue la notification du droit au silence. La loi précitée du 22 décembre 2021 prend acte de ces censures en prévoyant la notification du droit de se taire devant ces juridictions et inscrivant ce droit au sein de l'article préliminaire du Code de procédure pénale. Enfin, dans le prolongement de cette réflexion liée aux garanties prévues de nature à protéger la présomption d'innocence, on songe également au principe de proportionnalité qui embrasse les mesures de contrainte et à l'évolution, à cet égard, du contentieux de la détention provisoire. Différentes innovations visent en effet à juguler ce contentieux et le recours à la privation de liberté avec la création, par la loi du 15 juin 2000, du statut de témoin assisté mais aussi du juge des libertés et de la détention afin de retirer le pouvoir de contrôle de la détention provisoire au juge d'instruction, à la fois « Maigret et Salomon » selon l'expression de M. R. Badinter.[21] Précisément, l'introduction d'une nouvelle institution, le juge des libertés et de la détention, s'est accompagnée, d'une part, d'une modification des conditions de recours à la mesure de détention provisoire, laquelle ne peut être désormais décidée que lorsque l'infraction en cause fait encourir une peine d'au moins trois ans d'emprisonnement, puis, d'autre part, de la prévision de délais dits butoir. Un recours en indemnisation est en outre offert à la personne détenue qui a fait l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement. Sept ans plus tard, la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 prévoit - en réponse, notamment, aux erreurs judiciaire résultant de l'affaire d'Outreau[22] - des garanties supplémentaires, qu'il s'agisse par exemple de d'étendre la publicité des audiences devant le juge des libertés et de la détention ou devant la chambre d'instruction tout en permettant que le risque d'une atteinte à la présomption d'innocence justifie le refus d'une telle le publicité ; qu'il s'agisse, encore, de refondre et de clarifier les motifs de mise en détention provisoire, en particulier de supprimer le critère de trouble exceptionnel à l'ordre public en matière délictuelle, dénoncé jusqu'alors comme un critère fourre-tout.[23] Dans le même sens, la

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création, avec la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, de l'assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE), vise à réduire le recours à la détention provisoire et à faire de celle-ci une mesure effectivement exceptionnelle.[24]

Enfin, un autre exemple de garantie résulte de la protection du secret de l'enquête et de l'instruction, prévue à l'article 11 du Code de procédure pénale. C'est en effet sur la base de ce principe et au nom de la présomption d'innocence que la Cour de cassation[25] et le Conseil constitutionnel se sont opposés à la présence des journalistes lors des perquisitions. Dans sa décision du 2 mars 2018,[26] le Conseil constitutionnel rappelle l'utilité du secret, lequel permet non seulement de garantir le bon déroulement des investigations, mais aussi de protéger les personnes concernées par une enquête ou une instruction, afin de garantir le droit au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence.[27]

L'ensemble de ces avancées procédurales contribue, en définitive, à garantir l'effectivité de la présomption d'innocence. Or, en dépit de cet arsenal processuel, le principe de la présomption d'innocence demeure une fiction dès lors que la justice pénale française prévoit des dispositifs de contrainte qui, intrinsèquement, y portent atteinte.

2. Les dispositifs de contrainte éprouvés au détriment de la présomption d'innocence

Le caractère fictionnel de la présomption d'innocence résulte en effet de la prévision de dispositifs qui, en eux-mêmes, portent atteinte au principe, à tout le moins entravent son efectivité. Deux dispositifs interpellent tout particulièrement, au regard de leur compatibilité avec le respect de la présomption d'innocence. Le premier d'entre eux est celui de la détention provisoire, mesure privative de liberté qui représente un marqueur

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fort de suspicion. Le criminaliste Faustin Hélie écrivait : « La détention préalable inflige un mal réel, une véritable souffrance, à un homme qui non seulement n'est pas réputé coupable mais qui peut être innocent, et le frappe [...] dans sa réputation, dans ses moyens d'existence, dans sa personne ».[28] L'article 137-1 du Code de procédure pénale, quant à lui, affirme le principe selon lequel « Toute personne mise en examen, présumée innocente, demeure libre ». Ce n'est qu'« à titre exceptionnel » que la personne peut être placée en détention provisoire. Or, malgré cette affirmation législative, le dispositif de détention provisoire s'envisage comme une négation, en tant que telle, de la présomption d'innocence : d'abord car la mesure s'envisage, sous différents aspects, comme un pré-jugement ; ensuite parce ce qu'il y est recouru de manière excessive.

Au soutien de l'idée selon laquelle la détention provisoire constitue une forme de pré-jugement, il est possible, avant tout, de se référer à l'article 145 du Code de procédure pénale selon lequel le juge statue « au vu des éléments du dossier ». Surtout, les motifs juridiques de la détention, prévus à l'article 144 dudit code, traduisent une prise en compte intrinsèque de certains éléments du dossier. Ainsi, à suivre la lettre du texte, le juge a par exemple la possibilité de motiver le recours à la détention provisoire en indiquant, au sein de son ordonnance, que la mesure vise à empêcher tout contact entre « des complices », à « mettre fin à l'infraction » ou à « prévenir son renouvellement ». Toutes ces hypothèses considèrent ainsi l'infraction comme établie. Par exemple, le risque de renouvellement d'une infraction n'est réel que si, par définition, il existe une première infraction et que l'on considère que l'individu l'a effectivement commise. En se fondant ainsi sur les motifs de détention prévus par la loi, le juge se forge, consciemment ou non, un avis sur la culpabilité du prévenu. Les mots ont pourtant un sens et c'est d'ailleurs dans cette perspective que le rapport précité du groupe de travail sur la présomption d'innocence préconise de réaliser un travail de réflexion autour de la sémantique de la procédure pénale afin de mieux cibler le vocabulaire et les marqueurs de culpabilité.[29] À titre d'exemple, alors que l'article 144, 6° du Code de procédure pénale prévoit, au titre, des motifs fondant la mesure de détention provisoire, la nécessité de « mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement », le groupe de travail suggère de remplacer ladite formule par celle d'une détention provisoire de nature « à prévenir le risque de commission d'une infraction pénale ».[30] Au-delà des arguments liés à la sémantique, d'autres éléments sont de nature à souligner la corrélation étroite entre les circonstances justifiant la mesure de détention provisoire et l'analyse, au fond, du dossier. Ainsi, l'article 137-1 du Code de procédure pénale

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interdit au juge des libertés et de la détention, chargé de décider de la mise en æuvre ou de la prolongation de la détention provisoire, de participer aux affaires dont il a préalablement connu. Cette règle, liée à l'exigence d'impartialité, conduit à reconnaître que la phase préparatoire du procès, au cours de laquelle la personne mise en examen peut être placée en détention provisoire, et l'audience de jugement sont liées par un inévitable examen au fond de l'affaire. Dans le même sens, la Cour européenne des droits de l'homme, dans une affaire concernant la France,[31] a exprimé le refus que les membres de la chambre d'instruction ayant statué sur la détention provisoire puissent siéger au sein de la chambre des appels correctionnel saisie du fond de l'affaire. Elle a en effet considéré que les juges, en appréciant la mesure de la détention provisoire, avaient nécessairement relevé des éléments de culpabilité. Enfin, un autre argument peut être mentionné, résultant de la règle de l'imputation, prévue par la loi, du temps écoulé sous le régime de la détention provisoire sur celui de la peine à exécuter en cas de condamnation de la personne[32] - ce qui permet de souligner là encore le lien ténu entre la mesure de détention et le jugement de la culpabilité de l'individu.

Si la mesure détention provisoire apparaît en définitive comme une sorte d'antichambre du procès, l'atteinte à la présomption d'innocence est en outre accentuée par le fait que le recours à cette mesure reste très élevé. La France compte en effet parmi les États européens dont les prisons sont le plus encombrées. Outre le recours important à cette mesure privative de liberté avant procès, l'autre écueil tient à sa durée. Sur ce point, le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies considère qu'une durée excessive de la détention provisoire porte atteinte à la présomption d'innocence et constitue une violation du paragraphe 2 de l'article 14 du Pacte international aux droits civils et politiques.[33] La France, quant à elle, est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme en raison de durées excessives de détention provisoire.[34] L'inconventionnalité tient notamment à la prévision de délais « butoir », voire « hypocrites »,[35] pouvant aller jusqu'à quatre ans.[36] Surtout, la Cour de cassation refuse de contrôler la conformité de la détention provisoire avec l'article 5§3 de la Convention, jugeant que l'estimation du caractère raisonnable est une question de fait

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qui échappe à son contrôle.[37] Une telle solution heurte la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et explique que certaines détentions, pourtant validées en droit interne, soient ainsi sanctionnées par les juges européens. Plus encore, la Cour de cassation refuse de sanctionner la violation du droit à un délai raisonnable par l'ouverture d'un droit à annulation de la procédure, l'individu devant se contenter du droit d'obtenir une indemnisation.[38] Il serait pourtant envisageable de considérer que les violations des garanties offertes par la Convention européenne puissent par principe constituer une source de nullité substantielle,[39] sur la base de l'article 171 du Code de procédure pénale selon lequel « il y a nullité lorsque la méconnaissance d'une formalité substantielle prévue par une disposition du présent code ou toute autre disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu'elle concerne ». L'origine conventionnelle de l'exigence de délai raisonnable lui confère sans nul doute un caractère substantiel qui pourrait justifier que sa violation constitue une cause de nullité.

La durée de la détention provisoire et le respect de la présomption d'innocence sont ainsi inévitablement liées : moins la première sera longue, plus la protection de la seconde sera assurée.

Outre la mesure de détention provisoire, l'autre dispositif portant intrinsèquement atteinte à la présomption d'innocence est celui qui consiste, lors de l'audience, à recourir à des box vitrés au sein desquels les prévenus sont installés. La Cour européenne des droits de l'homme estime qu'un tel dispositif ne constitue pas en lui-même un traitement inhumain et dégradant, considérant que « toute mesure restreignant la participation de l'accusé à la procédure ou limitant sa communication avec ses avocats ne devra être imposée que pour autant qu'elle est nécessaire, et devra être proportionnée aux risques propres à l'affaire ». Les juges européens procèdent à un examen in concreto en s'assurant que la pratique du box vitré est justifiée par « un risque pour la sécurité ou par des problèmes d'ordre dans le prétoire ».[40] En France, le Conseil d'État a jugé que le recours au box vitré n'a ni pour objet ni pour effet d'instaurer une présomption de culpabilité à l'égard des prévenus et des accusés. Il ajoute que ce dispositif est décidé par la juridiction compétente sous le contrôle de la Cour de cassation.[41] En effet, la chambre criminelle s'en remet au pouvoir souverain d'appréciation des juges et précise que dès lors que l'accusé a pu communiquer avec ses

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avocats, aucun grief ne peut être invoqué[42] - ainsi, selon elle, la preuve d'une atteinte à la présomption d'innocence n'est pas rapportée. Si le droit français s'accommode de ce dispositif, il paraît néanmoins utile de rappeler que ce mode de comparution ne peut être interprété par le jury ou par le public comme une présomption de culpabilité du mis en cause.[43]

En définitive, la présomption d'innocence, dont l'effectivité est recherchée par le biais de garanties et principes directeurs du procès pénal, s'envisage avant tout comme un objectif, une fiction antinomique avec nos dispositifs de contrainte. Le second aspect lié à l'identification des maux et difficultés liées au respect du principe de présomption d'innocence tient au défi que représente pour l'État de droit une telle protection, compte tenu des atteintes qui y sont désormais portées par voie de presse ou de communication électronique.

II. Un défi

« Le mélange de vrai et de faux est énormément plus toxique que le faux pur », selon l'écrivain Paul Valéry.[44] Libérer les mots, la parole, pose la question du doute, de la véracité. Il s'agit en effet de libérer la parole, non de la sacraliser. Se pose dès lors la question du poids des mots et des contours à tracer autour de la liberté d'expression, liberté que l'on justifie au nom de la cause poursuivie mais qui n'est pas sans incidence sur le respect de la présomption d'innocence (1.). L'autre défi, ensuite, à relever est celui de la communication autour de la justice en vue de préserver la présomption d'innocence (2.).

1. Présomption d'innocence et liberté d'expression

La problématique de la présomption d'innocence confrontée à la liberté d'expression peut, doit, être abordée sous l'angle du mouvement de libération de la parole qui s'est propagé depuis 2017 à travers le monde et les hashtags #metoo et #Balancetonporc. Les réseaux sociaux font en effet office de caisse de résonnance du point de vue des

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difficultés soulevées au regard du principe objet de notre étude. Au-delà, le cri d'alarme numérique permis par ce mouvement représente un défi pour le procès pénal lui-même : lorsque l'enceinte judiciaire laisse place au tribunal médiatique, ce sont les fondements même du droit à un procès équitable qui se trouvent ébranlés - le président de la République M. Emmanuel Macron s'est à cet égard inquiété d'une « forme d'ordre moral autoproclamé » et de « l'esprit de lapidation » régnant sur les réseaux sociaux.[45] Défi de la fameuse cancel culture mais aussi, en droit, difficultés de preuves tant du côté des victimes que de celui des personnes dénoncées, parole contre parole, mise au pilori des présumés coupables au point que la cause l'emporte parfois sur la vérité judiciaire.

La parole s'est ainsi libérée, au nom d'une nécessaire prise de conscience collective. Cela justifie-t-il tout pour autant ? Sous un angle juridique, le mouvement décrit se traduit par l'idée que l'expression publique se libère, laissant souffler un vent de dénonciation - voire de « délation » selon l'écrivain Frédéric Beigbeder, définissant le mouvement actuel comme « la seconde grande vague de délation en France depuis la Seconde Guerre mondiale ».[46] La question est délicate et l'on perçoit dès lors la balance entre la légitimité de la cause, la liberté d'expression et la protection de la vie privée et de la présomption d'innocence. Soit le fait jeté en pâture à la vue du public est exact, auquel cas l' information poursuit un but préventif visant à protéger de potentielles victimes de l'individu dénoncé. Soit le fait n'est pas avéré, et les conséquences peuvent être dramatiques pour la personne visée, dont l'honneur a été bafoué. Le droit s'empare de ces questions puisque ces dénonciations peuvent, selon la Cour européenne des droits de l'homme,[47] constituer une atteinte à la réputation des personnes relevant de leur droit au respect de la vie privée. Sous un angle pénal, des poursuites sont envisageables, notamment sur le fondement de la diffamation, et l'analyse de décisions rendues dans différentes affaires - trois en particulier - permettent de prendre la mesure de la difficulté. La première affaire est emblématique puisqu'elle concerne la mise en cause, sur le fondement de la diffamation, des propos d'une femme étant à l'origine du mouvement #Balancetonporc. Au mois d'octobre 2017, une journaliste française publiait en effet sur le réseau social Twitter : « #balancetonporc ! Toi aussi raconte en donnant le nom et les détails d'un harcèlement sexuel que tu as connu dans ton boulot. Je vous attends ». Quatre heures plus tard, un second message accompagnait le précédent : « Tu as de gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit », en dévoilant l'identité de l'homme en question, qui allait donc « le premier porc ». La deuxième affaire concerne une jeune femme qui avait déclaré sur le site du journal L'Express avoir subi une agression sexuelle commise par un ancien ministre lors d'une représentation à l'opéra. La troisième affaire, dite Baupin, concerne une journaliste et un directeur de publication poursuivis sur le

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fondement de la diffamation, comme auteur et complice, pour avoir publié sur le site internet du média Médiapart deux articles relatant les témoignages de femmes ayant subi des harcèlements et agressions sexuelles de la part de l'ancien député.

Trois affaires, donc, et une question : la mise en cause d'un individu dans le cadre d'une campagne de dénonciation générale de faits d'infractions sexuelles constitue-t-elle une diffamation ou doit-elle bénéficier du principe de liberté d'expression ? Derrière cette interrogation, c'est bien le respect de la présomption d'innocence qui se trouve en jeu. Deux faits justificatifs peuvent faire obstacle à la caractérisation de la diffamation.[48] D'une part, l'exceptio veritatis,[49] délaissée par la pratique en raison des strictes conditions de mise en æuvre.[50] D'autre part, la bonne foi, d'origine prétorienne et qui requiert quatre éléments : un motif légitime d'information, une enquête sérieuse, la prudence dans l'expression et l'absence d'animosité personnelle.[51] Il revient alors aux juges de régler au cas par cas le conflit entre la liberté d'expression, le droit au respect de la vie privée et le droit à la présomption d'innocence, la Cour européenne des droits de l'homme requérant des magistrats de « ménager un juste équilibre dans la protection de valeurs garanties par la Convention ».[52]

En pratique, les tergiversations jurisprudentielles démontrent à quel point les contours demeurent incertains. Dans le cadre de l'affaire dite Baupin, qui donna lieu au premier procès en diffamation après le lancement du mouvement #Balancetonporc, le tribunal avait relaxé le journal Médiapart[53] sur la base de l'excuse de bonne foi, et condamné la partie civile pour plainte abusive. Au-delà des faits, cette affaire a eu un retentissement car en portant plainte pour diffamation malgré la prescription des faits, M. Baupin a pris le risque d'un procès public que les hommes politiques prennent généralement soin d'éviter. Les deux autres affaires ont prêté à discussion puisque la journaliste à l'origine du mouvement Balancetonporc a d'abord, en première instance, été condamnée pour diffamation, à défaut notamment de base factuelle suffisante pour bénéficier de l'excuse de bonne foi.[54] La jeune femme accusant l'ancien ministre a, de

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son côté, connu le même sort devant les juges de premier degré. La cour d'appel de Paris s'est ensuite prononcée dans ces deux affaires au cours de l'année 2021, en jugeant que les critères de bonne foi s'apprécient avec une moindre rigueur dès lors que les propos diffamatoires s'inscrivent dans un débat d'intérêt général sur la libération de la parole des femmes et reposent sur une base factuelle suffisante.[55] En particulier, les juges du fond ont fait primer le débat d'intérêt général « lancé sur la libération de la parole des femmes »,[56] et affirmé que les propos « visent à dénoncer les comportements à connotation sexuelle et non consentis de certains hommes vis-à-vis des femmes, afin que ces agressions physiques ou verbales très longtemps tolérées ou passées sous silence soient largement connues et ne puissent ainsi se perpétuer ».[57] Un an plus tard, la Cour de cassation a confirmé la position de la cour d'appel, écartant toute condamnation sur le fondement de la diffamation.[58]

La prise de position, de la part de la cour d'appel de Paris, puis de la Cour de cassation, interpelle. D'abord, il est assez ironique de voir la justice valider un processus de dénonciation qui se justifiait pour dénoncer les défaillances du système judiciaire. Surtout, elle peut laisser penser que la cause, assurément légitime, l'emporte parfois sur la vérité et le respect de la présomption d'innocence. La condition de bonne foi, à géométrie variable, impliquerait une appréciation différente en fonction de l'enjeu poursuivi. Que dire, encore de la notion d'intérêt général, notion floue et élastique tirée de la jurisprudence européenne ?[59] N'est-ce pas là libérer la parole sans aucune bride, aucun garde-fou ? L'on comprend néanmoins qu'exiger une base factuelle plus probante risquerait de briser les élans spontanés. Le principe le plus atteint à travers ce mouvement est ainsi, incontestablement, celui de la présomption d'innocence ; encore que certains réfutent toute idée de violation dès lors que le principe se limite à la sphère de l'enquête et de l'instruction - difficultés qu'appréhende le rapport du groupe de travail présidé par Mme la ministre É. Guigou.[60] Un autre revers de cette

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évolution consiste à remplacer le procès pénal portant sur la culpabilité de l'auteur mis en cause par le procès en diffamation.[61] À titre d'exemple, dans l'affaire mettant en cause l'ancien ministre, la femme à l'origine des accusations avait reproché à ce dernier dans la foulée de ses révélations, de ne pas avoir eu le courage de l'attaquer en diffamation, ce qu'il fera plus tard. Ne pas saisir la justice pourrait en effet être interprété comme un aveu de culpabilité de la part de la personne diffamée. Au-delà, le mouvement affecte les principes du secret de l'enquête et de l'instruction, du contradictoire, les droits de la défense ou encore la règle de la prescription. De même, l'égalité des justiciables se trouve fragilisée : qu'en est-il des victimes ne bénéficiant pas de contacts médiatiques, éditoriaux, ni davantage d'une communauté de followers de portée significative ? Cette inégalité est de nature à conforter chez elles un sentiment d'impuissance : d'un côté, la justice est décriée comme étant inefficace, de l'autre, les relais sociaux peuvent être très limités. Certaines paroles « portent », d'autres non ; que reste-t-il, alors ?

Ces divers éléments cristallisent, en somme, la délicate conciliation des principes en jeu, exercice que résumait le magistrat Jean-Yves Monfort de la manière suivante : « tracer les limites de la liberté d'expression c'est comme entrer dans un magasin de porcelaine ».[62]

Le second défi, ensuite, est désormais celui de la communication judiciaire et relative à la justice, qui participe de l'apprentissage des principes fondamentaux de procédure pénale.

2. Présomption d'innocence et communication, dernier point

L'originalité du mouvement de libération de la parole tient à ce qu'il dépasse la seule vertu thérapeutique de la parole pour porter une revendication : celle d'un besoin de justice et de moyens de lutte. Après les déferlantes Metoo et Balancetonporc, de nombreux articles, reportages, ont dénoncé les défaillances de la justice et de ses moyens. D'emblée, notons le paradoxe résultant de ce que la parole formule une exigence de justice mais passe hors les murs des tribunaux. À cet égard, l'affaire « Adèle Haënel » illustre le propos : si le témoignage diffusé sur les réseaux sociaux a sonné comme une véritable déposition, l'actrice a, dans le même temps, refusé de saisir la justice au nom d'une violence systémique faite aux femmes dans le système judiciaire.[63] Un autre paradoxe résulte de la défiance envers l'autorité judiciaire, liée à une méconnaissance de son

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fonctionnement, alors que, dans le même temps, la justice suscite un intérêt grandissant de la part de la société. Si les citoyens s'expriment de plus en plus librement sur les affaires en cours, des difficultés peuvent néanmoins émerger. Les Conférences nationales des procureurs de la République et des procureurs généraux souligne ainsi : « il n'est pas rare de constater dans le traitement de l'information que la présomption d'innocence est trop souvent transformée en présomption de « culpabilité » mais que quelques mois ou quelques années plus tard, si la personne est « mise hors de cause » [...] la part d'audience consacrée à cette évolution procédurale est réduite, voire inexistante ».[64]

Le propos doit, avant tout, être nuancé. Il ne s'agit pas, en effet, de nier la légitimité ni la nécessité du travail des journalistes. Dans bien des hypothèses, c'est grâce au travail des journalistes qu'ont pu être révélées des affaires, permettant à la justice de s'en saisir. Cela étant précisé, la dérive provient de la tendance de la justice à verser dans le spectacle, par l'entremise des journalistes et d'un « tribunal médiatique ». Or le droit pour le public d'être informé et le refuge de l'intérêt général ne doivent pas conduire à une forme d'impunité. Maître Hervé Temime souligne ainsi : « Ce qui est inquiétant, c'est que la valeur des causes défendues porte atteinte au respect des principes fondamentaux »,[65] comme s'il était légitime, aux yeux du public, de tout dévoiler au nom de la lutte poursuivie. L'impact n'est pas négligeable : le public demeure marqué par la première information ; peu importe qu'une décision réhabilite par la suite la personne mise en cause. Plus encore, cette diffusion d'informations entraîne des effets pernicieux et une course à l'information - M. Éric Dupond-Moretti, alors avocat, dénonçait dans un ouvrage les dérives du système judiciaire français qui contraint l'avocat de s'engager dans un processus de démonstration d'innocence.[66] En outre, trop d'information tue l'information, en quelque sorte, et conduit à de la désinformation : diffuser des informations issues de l'instruction sans s'interroger sur le point de savoir si cela ne profite pas à la source à l'origine de la fuite, cela revient en effet à désinformer et nuit à l'objectif - à l'objectivité - des débats.[67] Enfin, la médiatisation d'un dossier, causant un trouble à l'ordre public, risque de peser sur la décision du magistrat - l'on garde en tête les dérives de l'affaire d'Outreau et de la plus grande erreur judiciaire que la France ait connu, qui conduira d'ailleurs le législateur à proscrire la mise en détention provisoire sur le seul fondement d'un trouble causé par le retentissement médiatique d'une affaire.[68] Si l'on réfléchit aux évolutions possibles et enjeux poursuivis, deux axes doivent être privilégiés.

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Il s'agirait, d'abord, d'améliorer la communication des acteurs de justice. L'alinéa 3 de l'article 11 du Code de procédure pénale demeure un texte de compromis, qui révèle bien des ambivalences. À cet égard, il est possible de se demander si le ministère public, en tant qu'autorité poursuivante et non indépendante, se trouve le mieux placé pour communiquer, a fortiori dans des affaires politiques. C'est soulever là la même ambivalence - sinon schizophrénie - d'un parquet que l'on sait désormais devoir enquêter à charge et à décharge.[69] Pourquoi ne pas faire appel à un acteur tiers et indépendant, tel que, pourquoi pas, le juge des libertés et de la détention ou encore un communicant spécialement désigné ? Ensuite, l'on peut s'interroger sur la notion de « personnes mises en cause » prévue par le texte.[70] Qui cela vise-t-il ? Cela renvoie-t-il aux définitions juridiques des personnes impliquées[71] - suspect au stade de l'enquête, personne visée par un réquisitoire introductif, par une plainte avec constitution de partie civile, mis en examen - ou également aux personnes visées, mises en cause par les médias ? Enfin, le parquet est libre de choisir les informations qu'il décide, sans qu'aucun recours, contradiction, ni respect des droits de la défense ne soient prévus.[72] Or, d'une part, la communication dépend de la bonne volonté du procureur de la République, tous n'ayant pas les mêmes usages ou la même aisance dans la communication : il n'existe pas, sur ce point, de pratiques harmonisées. D'autre part, le risque est de voir le texte détourné de sa finalité et de permettre au magistrat d'imposer sa vérité, tant les notions de « trouble à l'ordre public » et d'« éléments objectifs », visées par l'article 11 du Code de procédure pénale, apparaissent vagues. La Cour européenne des droits de l'homme affirme pourtant que les autorités publiques doivent pouvoir renseigner le public sur les affaires pénales en cours, à la condition qu'elles le fassent « avec toute la discrétion et toutes les réserves que commande la présomption d'innocence[73] ».

Partant de ces constatations et de ces réflexions, l'enjeu est dès lors de professionnaliser la communication judiciaire. Cela suppose notamment de revoir le moment de cette communication : quand communiquer, quels mots employer ? Pourquoi ne pas introduire tous les six mois des audiences publiques en présence des individus concernés ? Ou lever, ponctuellement, le secret sur certains actes d'enquête ?[74]

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Faut-il prévoir des fenêtres de tirs obligatoires de communication ? L'article 11 du Code de procédure pénale emploie le verbe pouvoir, pourquoi ne pas le remplacer par devoir pour imposer cette communication ? Le parquet doit-il être le seul à pouvoir s'exprimer ? La presse, en outre, peut parfois supputer, à tort. Le procureur peut-il, doit-il, en ce cas intervenir pour un rappel à l'ordre et préciser qu'il n'y a en l'état aucune charge ? À l'occasion d'une contribution consacrée à l'idée de « management » de la Justice,[75] le professeur Dominique Rousseau fait très justement référence à ce qu'il appelle l'éthique « communicationnelle » du magistrat, c'est-à-dire la manière dont celui-ci produit sa décision - expression que l'on peut par ailleurs rapprocher de « l'agir communicationnel », théorisé par M. Habermas et qui défend les vertus d'une « discussion rationnelle » au moyen d'un certain nombre de règles et de garanties.[76] Si l'on établit un parallèle avec notre propos, l'article 11, alinéa 3, offre précisément l'une de ces garanties : parce que le magistrat peut maîtriser la communication des éléments relatifs à l'enquête en cours, le dispositif participe de la fiabilité et de la crédibilité de l'information donnée. Il faut dans cette perspective se réjouir, par exemple, qu'un pôle de communication judiciaire ait été créé au sein de l'École nationale de la magistrature. Le rapport présidé par Mme la ministre Élisabeth Guigou préconise, quant à lui, d'améliorer la communication judiciaire au niveau national mais aussi local au sein des cours d'appels afin de rendre la justice plus visible et surtout plus compréhensible.[77] L'autre défi, ensuite, serait celui de l'amélioration de la communication des journalistes. Malgré les précautions du législateur, ce ne sont pas les dérapages ou maladresses des magistrats qui sont en réalité le plus à craindre mais ceux des médias, face auxquels le mis en cause, le « présumé coupable », paraît bien démuni. Cela est d'autant plus paradoxal que la création, en 1958, de l'article 11 du Code de procédure pénale et l'affirmation solennelle du principe du secret de l'enquête et de l'instruction résultent de la volonté des parlementaires de lutter contre les dérives de la presse : c'est en effet à la suite d'un scandale lié au traitement médiatique d'un homicide[78] qu'est apparue la nécessité de réagir et qu'a été rédigé l'article 11, né, comme le relève à l'époque un auteur, « d'un choc affectif[79] ».

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L'enjeu primordial réside en définitive dans la qualité de l'information diffusée. Comment y remédier ? En sensibilisant, d'abord, les journalistes par le biais de formations qui leur permettent d'avoir une meilleure connaissance du fonctionnement de la justice, ce que préconisait déjà le rapport Viout établi à la suite de l'affaire d'Outreau.[80] Pourquoi ne pas revoir, également, le vocabulaire juridique ? La notion de soupçon, d'indices ou de mise en examen porte déjà un coup à la présomption d'innocence, laquelle prend les traits de la fiction, selon un auteur,[81] même si le terme d'inculpé - que l'on entend ou lit malheureusement encore parfois - a été supprimé par la loi précitée du 15 juin 2000. La notion qui pourrait convenir est celle de « personne présumée innocente ».[82] Combien de fois n'a-t-on pas entendu l'expression « terroriste présumé » ? Améliorer la communication des journalistes suppose enfin de développer, dans l'apprentissage, une véritable culture du doute - la formule d'Henri Donnedieu de Vabres ne dit pas autre chose : « Il faut faire du doute une méthode, sinon du scepticisme un dogme[83] ». Outre la sensibilisation des journalistes à une information de qualité, l'évolution suggérée invite à revoir le champ de l'information nécessaire, en misant pour cela sur la déontologie de la profession. L'identité de la personne, par exemple, est-elle une information utile ? En 1958, déjà, au lendemain de la création de l'article 11 du Code de procédure pénale, un auteur recommandait de contraindre les journalistes à taire les noms et de leur interdire de publier les photographies des personnes impliquées.[84] La surmédiatisation n'entraîne-t-elle pas, en outre, une dévaluation du procès ? Quel sens peut avoir en effet la peine lorsqu'un individu a déjà été vilipendé sur la place publique ? Telle était d'ailleurs notamment la ligne de défense de Maître Éric Dupond-Moretti dans l'affaire Cahuzac, plaidant le fait que le prévenu avait déjà payé le lourd tribut de la perte de son honneur et de sa réputation. Pourquoi, également, ne pas imposer aux médias qui publient des informations de les accompagner d'un avis précisant que celles-ci résultent d'investigations personnelles, sans aucune certitude que

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le juge dispose des mêmes éléments ou adopte un point de vue identique ?[85] L'on voit, à cet égard, certains médias préciser, à l'aide d'un petit astérisque figurant aux termes d'un article, que la personne mise en cause demeure présumée innocente. Il faut en outre saluer la création, le 2 décembre 2019, d'un Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM), organe professionnel d'autorégulation, indépendant de l'État, destiné tout particulièrement à servir d'« instance de médiation et d'arbitrage entre les médias, les rédactions et leurs publics ». Ce conseil a vocation à constituer également un espace « de réflexion et de concertation pour les professionnels et de pédagogie envers les publics », par exemple en matière de lutte contre les fausses informations.[86]

Enfin, à la lumière de la jurisprudence étudiée, la dernière question soulevée est la suivante : faut-il favoriser une coopération en permettant aux journalistes d'assister aux perquisitions ? Dans sa décision précitée du 2 mars 2018, le Conseil constitutionnel a invité le législateur à intervenir s'il souhaite autoriser la captation par un tiers du son et de l'image à certaines phases de l'enquête et de l'instruction, dans des conditions garantissant le respect des exigences constitutionnelles. Au demeurant, les reportages ont l'avantage de développer une culture juridique que l'on reproche précisément aux citoyens, parfois, de ne pas avoir. Il apparaît ainsi légitime de se poser la question de la présence du journaliste, en limitant pourquoi pas les éléments auxquels celui-ci aurait accès. Une telle évolution paraît cependant difficilement soutenable tant que sera refusée la présence de l'avocat lors d'une perquisition, présence qui offrirait alors la garantie à l'individu de s'opposer, le cas échéant, à celle des journalistes.

C'est en somme une relation intelligente et de confiance qu'il convient de tisser, en gardant à l'esprit que vérité médiatique et vérité judiciaire diffèrent, et en s'en remettant à la sagesse de Marc Aurèle : « Tout ce que nous entendons est une opinion et non un fait. Tout ce que nous voyons est une perspective et non la vérité ».[87] ■

REMARQUES

[1] É. Guigou (prés.), La présomption d'innocence : un défi pour l'État de droit. Rapport du groupe de travail sur sur la présomption d'innocence (oct. 2021).

[2] Ibid., 6.

[3] J. Pradel, La présomption d'innocence : un colosse aux pieds d'argile ?, in Droit de la France et droits d'ailleurs, Mélanges en l'honneur du professeur J.-H. Robert, (LexisNexis, 2012) 617.

[4] R. Merle et A. Vitu, Traité de droit criminel, t. 2, Procédure pénale, 5e éd., (Cujas, 2001) n° 330.

[5] D. Soulez-Larivière, La présomption d'innocence, (1995) (1) Revue européenne de philosophie et de droit, http://www.fjpansier.com/3.html (consulté le : 30.12.2022), consulté le 7 septembre 2020. Cette contribution est issue d'actes d'un colloque consacré à la présomption d'innocence s'étant déroulé le 4 mars 1995 à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne.

[6] Selon cet article, « Il est interdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédure criminelle ou correctionnelle avant qu'ils aient été lus en audience publique et ce, sous peine d'une amende de 3 750 euros ».

[7] Cons. const., 19 et 20 janv. 1981, n° 80-127 DC, Sécurité et liberté.

[8] P. Truche, Le juge et la presse, (1995) (210) Esprit, 5-12.

[9] V. J. Francillon, Médias et droit pénal. Bilan et perspectives, (2000) RSC, 59.

[10] En ce sens, v. les propos du professeur D. Mazeaud s'adressant, au cours d'une table ronde organisée à l'université Paris Panthéon-Assas, au journaliste G. Davet, in Le secret et les journalistes, P. Bilger, G. Davet, P.-Y. Gautier, (2011) (4) Revue de droit d'Assas, 64., spéc. 67.

[11] Pour aller plus loin, v. M. Bouchet et P. Le Monnier de Gouville, #Metoo ou la revanche des victimes sur les réseaux sociaux. La justice hors des murs, in C. Dubois et P. Le Monnier de Gouville (dir.), Les infractions sexuelles à l'épreuve du numérique, Actes du colloque organisé par l'Université Paris Panthéon-Assas et l'Université de Bourgogne, 9 nov. 2021, (Mare et Martin, à paraître) ; P. Le Monnier de Gouville, « Pourquoi la présomption d'innocence continue-t-elle de faire débat ? », The conversation, 8 janv. 2023, https://theconversation.com/pourquoi-la-presomption-dinnocence-continue-telle-de-faire-debat-193749 (consulté le : 30.12.2022).

[12] R. Lindon, obs. sous Paris, 25 sept. 1956, JCP G 1956, II, 9560.

[13] Cité par J.-M. Carbasse, Introduction historique au Droit Pénal, (PUF, Paris, 1985) 139.

[14] Guigou, La présomption d'innocence : un défi pour l'État de droit, 13.

[15] C. proc. pén., art. 77-2.

[16] C. proc. pén., art. préliminaire et art. 144-1.

[17] C. proc. pén., art. 75-3.

[18] C. proc. pén., art. 175-1.

[19] Cons. const., 4 nov. 2016, n° 2016-594 QPC, cons. 5 : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire ».

[20] Cons. const., 4 mars 2001, n° 2020-886 QPC ; 9 avr. 2021, n° 2021-895 QPC ; 30 sept. 2021, n° 2021-935 QPC.

[21] R. Badinter, La mort programmée du juge d'instruction, Le Monde, 21 mars 2009.

[22] V. not. Rapport du Groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau », La Documentation française, 8 févr. 2005.

[23] G. Geoffroy, Rapport au nom de la Commission des lois sur le projet de loi (n° 3393), tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale française, n° 3505, 6 déc. 2006, p. 178 ; P. Le Monnier de Gouville, De l'usage du standard en procédure pénale, (2014) (9) Revue de droit d'Assas, 43., spéc. 55.

[24] C. proc. pén., art. 142-5 s. Pour aller plus loin, v. P. Le Monnier de Gouville, L'assignation à résidence sous surveillance électronique : une mesure efficace face à la détention provisoire ?, in J.-P. Céré et L. Grégoire (dir.), Dix ans d'application de la loi pénitentiaire, Actes du Congrès des jeunes pénalistes de l'AFDP, Université de Pau et des Pays de l'Adour, 2 juill. 2021, (L'Harmattan, 2021) 173.

[25] Cass. crim., 10 janv. 2017, n° 16-84740, D. 2017, p. 113 ; RSC 2017, p. 334, note F. Cordier ; Comm. com. électr. 2017, n° 3, comm. 25, note A. Lepage ; AJ pén. 2017, p. 140, note J.-B. Thierry ; Procédures 2017, comm. 48, note A.-S. Chavent-Leclère; JCP G 2017, n° 6, 138, obs. P. Collet ; D. 2017, p. 1684, note J. Pradel; Gaz. Pal. 25 avr. 2017, n° 292, p. 72, note F. Fourment ; Gaz. Pal. 23 mai 2017, n° 294, p. 31, note F. Fourment ; D. Actualité, 30 janv. 2017, note S. Fucini ; Cass. crim., 9 janv. 2019, n° 17-84026, JCP G 2019, n° 11, 275, note J. Pradel ; AJ pén. 2019, p. 144, note A. Dejean de La Bâtie ; D. Actualité, 18 janv. 2019, note S. Fucini.

[26] Cons. const., 2 mars 2018, n° 2017-693 QPC, cons. 8, D. 2018, p. 462 ; Procédures 2018, comm. 128, note J. Buisson ; D. Actualité, 14 mars 2018, note P. Januel ; Rev. pénit. 2018, p. 395, note J. Bossan ; Comm. com. électr. 2018, n° 5, comm. 36, note A. Lepage ; Actualités du droit, 8 mars 2018, note A. Dorange.

[27] Pour aller plus loin, v. P. Le Monnier de Gouville, Secret de l'instruction, droit à l'information et présomption d'innocence, in T. Bonneau et A. Lepage (dir.), Information, numérique et innovations, Mélanges de l'école doctorale de droit privé, (Panthéon-Assas, 2020) vol. 1, 397.

[28] F. Hélie, Traité d'instruction criminelle, IV, l'instruction écrite, 2[e] éd., (H. Plon, 1866) n° 1950, 610.

[29] Sur ces questions, v. not. S. Detraz, La prétendue présomption d'innocence, (2004) (3) Dr.pén., chron. 3, rappr. C. Ambroise-Castérot, Présomption d'innocence, Rép. pén. Dalloz, n° 13. V. également à ce sujet, et plus particulièrement au regard du marqueur de culpabilité que représente la détention provisoire, R. Parizot, Présomption d'innocence versus marqueurs de culpabilité : quel équilibre?, (2019) RSC, 127.

[30] Guigou, La présomption d'innocence : un défi pour l'État de droit, 55.

[31] CEDH, 22 avr. 2010, req. n° 29808/06, Chesne c/ France.

[32] C. proc. pén., art. 716-4.

[33] CDH, constatations du 23 oct. 2001, Cagas, Wilson et Astillero c. Philippines, communication n° 788/1997, §ò 7.3.

[34] V. par ex. : CEDH, 26 juin 1991, req. n° 12369/86, Letellier c/France ; 27 nov. 1991, req. n° 12325/86 et 14992/89, Kemmache c/France ; 9 nov. 1999, req. n° 37786/97, Debboub c/France ; 20 mars 2001, n° 33591/96, Bouchet c/France ; 6 janv. 2004, req. n° 50268/99, Rouille c/France ; 31 mai 2005, req. n° 57547/00 et 68591/01, X. c/France.

[35] V. M.-L. Rassat, Traité de procédure pénale, PUF, coll. Droit fondamental, 2001, p. 624, relevant que le législateur s'attelle à réduire la durée de la détention provisoire dans un cadre de « complexité et d'hypocrisie ».

[36] C. proc. pén., art. 145-1 et 145-2.

[37] V. not. : Cass. crim., 14 mars 2006, Bull. crim. n° 68 ; 17 déc. 2002, n° 02-86533, inédit ; 3 juin 2003, Bull. crim. n° 111.

[38] Cass. crim., 24 avr. 2013, Bull. crim. n° 100 ; 26 sept. 2001, Bull. crim. n° 190 ; 3 févr. 1993, Bull. crim. n° 57 ; v. récemment : Cass. crim., 9 nov. 2022, n° 21-85655.

[39] En ce sens, v. F. Fourment, Procédure pénale, Larcier, coll. « Paradigme », 14[e] éd., (2013) n° 84.

[40] CEDH, 4 oct. 2016, req. 2653/13 et 60980/14, Yaroslav Belousov c/ Russie ; CEDH, 28 nov. 2017, req. n° 19327/13, Kavkazskiy c/ Russie.

[41] CE, 6/5 CHR, n° 418694, 21 juin 2021.

[42] Cass. crim., 10 avr. 2019, n° 18-83053. En l'espèce, la cour d'assises avait jugé que la comparution de l'accusé dans un box sécurisé vitré était proportionnée et nécessaire, l'accusé, qui encourait une peine de réclusion criminelle à perpétuité et avait été placé en détention provisoire après s'être soustrait à la justice pendant quatre ans, étant renvoyé pour des faits d'assassinats en bande organisée et association de malfaiteurs, et pouvant lui permettre de communiquer librement et secrètement avec ses avocats. La position de la Cour de cassation a été confirmée quelques mois plus tard (Cass. crim., 30 oct. 2019, n° 19-80086).[43] En ce sens, v. Guigou, La présomption d'innocence : un défi pour l'État de droit, 58.

[44] P. Valéry, Carnets, (Gallimard, 1894).

[45] E. Macron, Væux à lapresse, 15 janv. 2020, à voir ici: https://www.youtube.com/watch?v=vWeDHxSPTHg (consulté le : 30.12.2022).

[46] F. Beigbeder, entretien accordé au magazine Elle, 29 déc. 2017.

[47] CEDH, Gr. ch., 7 févr. 2012, req. n° 39954/08, AxelSpringer AG c/ Allemagne.

[48] V. É. Raschel, Les justifications en droit de la presse, Les faits justificatifs spéciaux, La justification de la diffamation La bonne foi du diffamateur, in É. Raschel (dir.), Droit de lapresse, (Lexbase, actualisé 2022).

[49] L . 29 juill. 1881, sur la liberté de la presse, art. 35.

[50] L. 29 juill. 1881, art. 35, al. 3 : « la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l'imputation concerne la vie privée de la personne » ; v. E. Dreyer, Droit de la communication, (LexisNexis, Manuel, 2018) n[os] 1154 et s.

[51] V. C. Bigot, Pratique du droit de la presse, 3[e] éd., (Dalloz, 2020) nos 321 s. ; É. Raschel, JCl. Communication, fasc. 116, Diffamation - justification, 2022, nos 109 et s.

[52] CEDH, Gr. Ch. 7 févr. 2012, AxelSpringer AG c/Allemagne, préc., §§ 83-84.

[53] V. S. Lavric, Plainte pour diffamation de Denis Baupin : la relaxe de Mediapart, Dalloz Actualité, 2 mai 2019, évoquant les jugements du tribunal correctionnel de Paris du 19 avr. 2019.

[54] Dans le procès Balancetonporc, la journaliste qui a initié le hahstag a été condamnée pour diffamation à payer 15 0 0 0 euros de dommages et intérêts au plaignant au titre du préjudice moral, et à verser 5000 euros au titre des frais de justice - en relevant le caractère fort des termes employés et refusant d'entendre le terme de harcèlement au sens commun. Le tribunal avait par ailleurs rejeté l'argument des deux faits justificatifs, à défaut de pouvoir prouver la véracité des faits imputés et de base factuelle suffisante pour bénéficier de l'excuse de bonne foi. En manquant ainsi de prudence dans la formulation de son tweet, la journaliste a dépassé les limites de la liberté d'expression.

[55] CA Paris, 2-7, 14 avr. 2021, n° 20/02248 ; CA Paris, 2-7, 31 mars 2021, n° 19/19081. Dans l'affaire mettant en cause le ministre, la cour d'appel reconnaît que les propos portent atteinte à son honneur et à sa considération. Dans la l'affaire Balancetonporc, la cour juge finalement que le tweet de la journaliste impute un harcèlement au sens commun non juridique, au sens de drague lourde, en sorte que cela porte également atteinte à l'honneur et à la considération.

[56] CA Paris, 2-7, 14 avr. 2021, n° 20/02248.

[57] CA Paris, 2-7, 31 mars 2021, n° 19/19081.

[58] Cass. 1[re] civ., 11 mai 2022, n° 21-16156 ; Cass. 1[re] civ., 11 mai 2022, n° 21-16497.

[59] Pour une critique à ce sujet, v. not. : B. Ader, Délimiter la liberté d'expression, c'est marcher sur un fil de crête, Le Club des juristes, 25 avr. 2021 ; C. Bigot, Intérêt général contre intérêts particuliers : comment appréhender la libération collective de la parole ?, Le Club des juristes, 25 avr. 2021 ; M. Burguburu, La consécration d'un « permis de diffamer »?, Le Club des juristes, 25 avr. 2021.

[60] Guigou, La présomption d'innocence : un défi pour l'État de droit, 66.

[61] En ce sens, A. Lepage, La bonne foi du diffamateur à l'ère de la libération de la parole, Comm. com., électr. 2021, comm. 45.

[62] Propos cité par Me B. Ader, in Délimiter la liberté d'expression, c'est marcher sur un fil de crête, Le Club des juristes, 25 avr. 2021 ; C. Bigot, Intérêt général contre intérêts particuliers : comment appréhender la libération collective de la parole?, Le Club des juristes, 25 avr. 2021 ; Burguburu, La consécration d'un « permis de diffamer »?

[63] En ce sens, v. également D. Salas, #MeToo : Le procès pénal n'est pas construit pour être un lieu d'écoute de la seule victime, Le Monde, 25 nov. 2019.

[64] Le propos est cité par le groupe de travail dans le rapport sur la présomption d'innocence précité (Guigou, La présomption d'innocence : un défi pour l'Etat de droit, 47.).

[65] Entretien avec H. Témime, Libération, 28 et 29 déc. 2019.

[66] É. Dupond-Moretti et S. Durand-Souffland, Bête noire. Condamné à plaider, éd. Michel Lafon, coll. J'ai lu, (2012) 78.

[67] En ce sens, v. V. Brengarth, La justice a besoin du secret de l'instruction, La Croix, 24 janv. 2019.

[68] C. proc. pén., art. 144.

[69] C. proc. pén., art. 39-3, créé par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016.

[70] Sur ce point, v. V. Peltier, Le traitement de l'information pendant l'instruction préparatoire, (2008) (9) Dr. pén., ét. 16.

[71] Visées par un réquisitoire introductif, par une plainte avec constitution de partie civile ou, au stade de l'enquête, par une simple plainte.

[72] V., sur ce point, J. Francillon, Liberté d'expression, dignité de la personne et présomption d'innocence, (2001) (1) Revue pénit., 195 et s., spéc. 210 ; H. Leclerc, Présomption d'innocence et droits des victimes, (2000) 4 (174) Légipresse, 87, spéc. 88 : l'auteur déplore le fait que tous les acteurs « ne se voient pas accorder un droit identique » et estime que l'ensemble du dispositif est « assez confus ».

[73] CEDH, 10 févr. 1995, req. n° 15175/89, Allenet de Ribemont c./France, § 36.

[74] En ce sens, v. C. Pilorget-Rezzouk, Instruction : un secret qui n'en a que le nom, Libération, 11 août 2019 : la journaliste évoque de telles propositions émises par M. J.-P. Deniau, chef du service Enquêtes Justice chez France Inter et président de l'association confraternelle de la presse judiciaire (APJ), lequel regrette que l'« on dépend[e] encore de la bonne volonté du magistrat et de sa compréhension de la nécessité à communiquer ».

[75] D. Rousseau, Exigences constitutionnelles de l'indépendance de la justice et exigences managériales, in B. Frydman et E. Jeuland (dir.), Le nouveau management de la justice et l'indépendance des juges, (Dalloz, Coll. Thèmes et commentaires, 2011) 57 et s.

[76] J. Habermas, (1985), Théorie de l'Agir Communicationnel, trad. J.-M. Ferry et J.-L. Schlegel, (Fayard, Paris, 1987). Pour aller plus loin, v. not. É. Challe, Jürgen Habermas et le fondement communicationnel du droit, (1999) 3 (9) Le Philosophoire, 212, disponible sur le site www.cairn.info.fr (consulté le 30.12.2022), https://doi.org/10.3917/phoir.009.0175

[77] Guigou, La présomption d'innocence : un défi pour l'État de droit, 49 s.

[78] Une jeune fille et son fiancé avaient été assassinés dans les bois de Saint Cloud le 21 décembre 1956 dans des conditions émouvantes. La presse avait alors recherché « les gros titres », à la recherche du scandale pour favoriser les ventes ; des commentaires particulièrement violents avaient été livrés au public.

[79] J. Granier, L'article 11 du Code de procédure pénale. Quelques réflexions sur le secret d'information, (1958) 1JCP G, 1453.

[80] Rapport du Groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire dite « d'Outreau », La Documentation française, 8 février 2005, préconisations n° 56 (« Mettre à disposition des journalistes accrédités un exemplaire des ordonnances et arrêts de mise en accusation ») et n° 57 (« confier à un membre du ministère public les fonctions de magistrat référent-presse à l'occasion de la tenue de tout procès d'envergure ou connaissant un retentissement médiatique »).

[81] Detraz, La prétendue présomption d'innocence ; Parizot, Présomption d'innocence versus marqueurs de culpabilité : quel équilibre ?

[82] V. A. Coche, Rendre effective la présomption d'innocence : l'obsession de l'avocat, le devoir du juge, (2016) AJ pén., 122. Selon cet auteur, le juge d'instruction ne dirait plus « Je vous mets en examen », mais « L'ouverture d'une procédure pénale me conduit à vous présumer innocent ». Le juge d'instruction ne dirait plus « Je vous mets en examen », mais « L'ouverture d'une procédure pénale me conduit à vous présumer innocent ».

[83] H. Donnedieu de Vabres, Préface de l'ouvrage Histoire de la folie, B. Casinelli, de Bocca Frères éditeurs, (Paris, 1939).

[84] Granier, L'article 11 du Code de procédure pénale. Quelques réflexions sur le secret d'information.

[85] En ce sens, v. M.-L. Rassat, Procédure pénale, 3[e] éd., (Ellipses, 2017) 540., https://doi.org/10.14375/NP.9782340018426

[86] Le Monde, « Un conseil de déontologie journalistique sera créé en décembre », 25 nov. 2019.

[87] M. Aurèle, Pensées pour moi-même.

Lábjegyzetek:

[1] L'auteur est Maître de conférences en droit privé, Université Paris Panthéon-Assas, directrice des études de l'Institut d'études judiciaires Pierre Raynaud.

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