Megrendelés

Tamas Szabados[1]: L'État de droit dans une dimension multiétatique: L'État de droit et le droit international privé* (Annales, 2022., 81-93. o.)

https://doi.org/10.56749/annales.elteajk.2022.lxi.7.81

Abstract

Most often, the concept of rule of law is conceived as a phenomenon of public law and relatively little attention has been paid to the significance of rule of law in private law, let alone private international law. Even so, the goal of this article is to highlight that the requirements of rule of law have an impact on the method and the application of rules of private international law. The neutrality and the mechanical character of the classical conflict-of-laws method seems to reflect the formal concept of rule of law, primarily focusing on legal certainty and predictability in the course of the designation of the applicable law. However, even the classical method has permitted the appearance of certain substantive elements of rule of law, in particular the respect of human rights, in private international law. The ordre public clause and the application of overriding mandatory provisions opened this possibility. Moreover, due to the requirement of respecting fundamental rights and in the light of the case law of the Court of Justice of the European Union and the European Court of Human Rights, in the legal literature the view has been expressed that the methodology of private international law has undergone a change and it is oriented now towards the method of recognition that applies in more and more areas of private international law.

Keywords: rule of law, private international law, legal certainty, judicial independence, fundamental rights, recognition

I. Introduction

Albert Venn Dicey, qui était « Vinerian Professor of English Law » à l'université d'Oxford et qui a ravivé le concept de « rule of law » en Angleterre, a écrit aussi une monographie sur le droit international privé qui - avec suppléments ultérieurs -appartient encore aujourd'hui aux publications anglaises les plus significatives dans

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ce domaine.[1] Mais il est rare qu'un professeur de droit public s'occupe aussi de droit international privé et même Dicey dans son volume n'a pas touché la relation de ce qui on nomme aujourd'hui l'État de droit et du droit international privé. En effet, à première vue, la notion d'État de droit et le droit international privé semblent éloignés. En premier lieu, traditionnellement le concept d'État de droit a été lié aux états souverains et leurs organes exercant pouvoir public. Plus souvent, la question est de savoir si les institutions d'un État se conforment aux exigences de l'État de droit. Dans ce sens, l'État de droit semble un problème interne. La réalisation de l'État de droit au niveau international est moins examinée. Répresentants du droit international public ont parfois examiné l'existence et l'opération de l'État de droit international.[2] Ces enquêtes restent cependant moins pertinentes pour le droit international privé. En deuxième lieu, le droit international privé aborde les relations juridiques privées tandis que l'État de droit exprime la protection des citoyens verticalement contre le pouvoir public. Le concept d'État de droit est plus souvent conçu comme un phénomène du droit public.[3] Il a été observé qu'il existe une présomption que l'État de droit est une doctrine de droit public.[4] Encore les æuvres qui s'occupent de la relation du droit privé et l'État de droit prêtent peu d'attention au droit international privé. Ainsi, il ne peut pas être surprenant que même la littérature de droit international privé s'occupe peu du rapport entre l'État de droit et le droit international privé.[5] Cependant, comme on va le voir, l'État de droit joue aussi un rôle au cours de l'application des règles de droit international privé.

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À l'égard d'une situation internationale de droit privé, l'appréciation du respect des valeurs de l'État de droit peut émerger dans un contexte multiétatique. L'application d'une loi étrangère peut être écartée si son application en l'espèce violait les droits humains. La question se pose aussi de savoir s'il est possible de reconnaître une décision étrangère rendue dans un pays où l'indépendance judiciaire, élément important de l'État de droit, n'est pas observée. Dans ces situations, la nécessité du respect de l'État de droit influence sans doute l'application des règles de droit international privé.

Cette contribution a pour but d'examiner comment les éléments de l'État de droit se dégagent au cours du développement du droit international privé et comment l'État de droit influence l'application des règles de droit international privé.

Notre analyse se concentrera en particulier sur le droit international privé de l'Union européenne (UE). Cela est justifié car la construction multiétatique de l'UE est basée sur une communauté de valeur qui comprend aussi l'État de droit. Comme l'article 2 du Traité sur l'Union européenne constate

L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes.[6]

II. Le concept formel de l'État de droit et le droit international privé

L'impact de l'État de droit sur le droit international privé est rarement examiné dans la littérature. Cela malgré le fait que la méthode classique du droit international privé moderne peut être considérée comme une manifestation éclatante du concept formel de l'État de droit des XVIII[ème] et XIX[ème] siècles. Comme c'est bien connu, Savigny qui est réputé comme le créateur du droit international privé moderne, en critiquant l'idée de droit naturel a pris position que le développement du droit repose sur l'esprit du peuple (« Volksgeist ») et les juristes deviennent les porteurs de la conscience juridique du peuple.[7] De cette manière, Savigny détachait le droit du pouvoir de l'État lui assurant

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une autorité indépendante de l'État. Dans cette manière, l'idée de droit de l'État est apparu chez Savigny dans sa conception du droit en général.

En droit international privé, l'émancipation du droit de l'État implique aussi que la doctrine « comitas » basée sur la souveraineté territoriale et l'application exceptionnelle des lois étrangères a pu être écartée et remplacée par l'égalité des systèmes juridiques et la détermination de la loi applicable de manière que la générosité et la volonté du pouvoir public ne joue pas un rôle et où il ne fait aucune différence quelle loi est applicable.[8] Le droit international privé de Savigny est profondément imprégné par un élément spécifique de l'État de droit : la sécurité juridique. Savigny partait de la relation juridique et a examiné son aménagement dans l'espace en cherchant le siège des relations juridiques pour déterminer la loi applicable. Pour les relations juridiques typiques, Savigny a même déterminé le lieu du siège en facilitant la désignation de la loi applicable : le domicile pour les questions relatives au statut personnel ; le lieu d'une chose pour des questions de droit réel ; et le lieu d'exécution pour les contrats, etc. De cette façon, une solution mécanique a été élaborée qui en même temps garantit la prévisibilité. Plus encore, Savigny a visé à élever ces principes au niveau international. Il a souhaité que chaque État adopte et applique les mêmes règles de conflit. Dans une telle communauté de droit, l'harmonie internationale des solutions peut se réaliser.

La sécurité juridique est importante pour la protection des parties privées. Au sein des relations juridiques privées, la prévisibilité des règles applicables est nécessaire pour planifier les transactions entre les parties. C'est encore plus vrai dans une dimension internationale, et en particulier dans le commerce international. Dans cette dimension, des questions additionnelles se posent : les tribunaux de quel pays ont compétence pour entendre l'affaire et quelle est la loi applicable à la relation juridique des parties ? La prévisibilité doit être assurée ici aussi. L'approche d'un système juridique envers la sécurité juridique a aussi une incidence sur les méthodes d'application de la loi.[9] Cela vaut également pour le droit international privé.

Le caractère mécanique des règles de conflit a assuré sans doute cette prévisibilité. Plus tard, les règles de conflit objectives ont été complétées par la reconnaissance de l'autonomie des parties qui implique la possibilité d'une prorogation de la compétence et du choix de loi. Ces changements ont augmenté la sécurité juridique pour les parties avant même le débat juridique. Comme Heuzé le formule, en droit international privé les prévisions des parties et ainsi la sécurité juridique, en tant qu'une composante de l'État de droit, sont sauvegardées à la condition que les prévisions des parties

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soient légitimes qui est requis par l'autorité du droit, une autre composante du droit international privé.[10]

Cette approche traditionnelle correspond en fait à la conception formelle de l'État de droit et en particulier à la sécurité juridique. Donc, l'idée de l'harmonie internationale des solutions envisagée par Savigny et plusieurs générations d'universitaires en droit international privé peut bien coexister avec le concept d'État de droit. Le but de la sécurité juridique n'a même pas disparu. Aujourd'hui, l'harmonie internationale des solutions ainsi que la sécurité juridique sont espérées atteintes par l'unification du droit international privé à l'échelle régionale comme globale. Au niveau régional, on peut souligner le rôle de l'Union européenne, tandis qu'au niveau global la Conférence de La Haye de droit international privé contribue à la création des règles de conflit et règles procédurales uniformes.

Pour son caractère mécanique, le droit international privé est souvent décrit comme neutre ou moins euphémiquement aveugle en ce qui concerne le contenu de la loi désignée et l'issue de l'affaire. Pour cette raison, la neutralité ou en d'autres termes l'insensibilité du droit international privé vers les valeurs matérielles était critiqué.

III. Infiltration des valeurs matérielles au droit international privé - l'exemple des droits humains

Néanmoins, on ne peut pas ignorer que même la méthode classique du droit international privé a développé des moyens qui permettent l'infiltration des valeurs matérielles en droit international privé. Ces moyens qui seront discutés ci-dessous accueillent les aspects matériels de l'État de droit malgré la neutralité des règles de conflit. Cela peut être illustré par l'influence des droits humains sur l'application des règles de droit international privé.

Les droits humains constituent une composante importante de l'État de droit matériel. Les droits humains peuvent avoir un effet sur la mise en æuvre des règles de conflits à travers l'exception d'ordre public ou en tant que lois de police. Ces moyens du droit international privé incarnent une déviation de la neutralité du droit international privé.[11] L'exception d'ordre public peut empêcher l'application d'une loi étrangère ou la reconnaissance et l'exécution d'une décision étrangère qui est contraire aux principes fondamentaux de l'ordre juridique interne de l'État du for.[12] Sans doute, l'État de droit

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et en particulier les droits humains peuvent être classés parmi ces principes. Ainsi, la protection des droits humains peut justifier l'entrave à l'application d'une loi étrangère ou la reconnaissance et l'exécution d'une décision étrangère. Certaines sources de droit international privé mettent le rapport entre la protection des droits humains et la clause d'ordre public en évidence. Le règlement insolvabilité constate que

Tout État membre peut refuser de reconnaître une procédure d'insolvabilité ouverte dans un autre État membre ou d'exécuter une décision rendue dans le cadre d'une telle procédure, lorsque cette reconnaissance ou cette exécution produirait des effets manifestement contraires à son ordre public, en particulier à ses principes fondamentaux ou aux droits et aux libertés individuelles garantis par sa constitution.[13]

Néanmoins, le recours à la clause d'ordre public reste exceptionnel.[14] Elle est nommée aussi comme une soupape de sécurité.[15] La Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) semblait accepter une possibilité restreinte de l'invocation de l'ordre public en vue de la protection des droits humains. En ce qui concerne la reconnaissance d'une décision étrangère, la CJUE a exigé l'existence d'une violation manifeste d'une règle essentielle dans l'ordre juridique de l'État requis ou d'un droit fondamental.[16] Cela présuppose que la reconnaissance ou l'exécution de la décision heurte de manière inacceptable l'ordre juridique de l'État requis.[17] La violation du droit de la défense a pu justifier le refus de la reconnaissance d'une décision étrangère quand le juge de l'État d'origine a refusé au défendeur le droit de se faire défendre sans comparaître personnellement.[18] L'approche restrictive de la CJUE est critiquée dans la littérature pour ne permettre une mise en valeur complète des droits humains. Comme Oster l'a formulé, le droit international privé doit opérer dans le cadre des droits humains et non le contraire.[19] Il est argumenté que n'importe quelle violation des droits humains reconnus dans l'ordre juridique du for devrait être sanctionnée, pas seulement les violations qualifiées.[20]

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En même temps, on ne peut pas ignorer que l'application de l'exception d'ordre public doit être en conformité avec le respect des droits de l'homme. Or l'application ou la non-application de la clause d'ordre public en Europe est assujettie au contrôle de la CJUE et la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH). C'est pourquoi, comme un auteur l'a formulé, ce contrôle constitue une soupape de sécurité pour cette soupape de sécurité.[21] Cela s'illustre par l'affaire Negrepontis-Giannisis de la CEDH.[22] Dans cette affaire, les tribunaux grecs ont refusé la reconnaissance d'une décision américaine qui avait permis l'adoption du neveu par son oncle, un moine. Le refus a été justifié par la protection de l'ordre public grec qui comprenait aussi la prohibition ecclésiastique d'adoption par des moines. La CEDH n'a pas accepté le recours à l'ordre public en l'espèce et a établi entre autres, une violation du droit au respect de la vie privée et familiale constatant que le refus n'avait pas répondu à un besoin social impérieux.

Le droit international privé offre une autre voie pour sauvegarder les droits humains, notamment l'application des lois de police. Au niveau du droit de l'UE, l'article 9, paragraphe 1 du règlement Rome I définit la notion de lois de police. En vertu de cette disposition : « Une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après le présent règlement. » Les droits fondamentaux peuvent tomber sous cette définition qui est utilisée au-delà du droit des contrats.[23] Toutefois, plus souvent les droits fondamentaux sont pris en compte à travers la clause d'ordre public et pas comme lois de police.

Comme Oster l'explique, l'application des clauses d'ordre public pour protéger les droits humains peut motiver l'harmonisation globale de la sauvegarde des droits humains. Or l'usage des clauses d'ordre public en vue de la protection des droits humains et en respectant les droits humains peut conduire à la création d'un ordre public commun des droits humains. On peut y ajouter que la protection des droits humains en tant que lois de police a pratiquement un effet identique. Dans ce sens, la protection systématique des droits humains à travers l'exception d'ordre public ou en tant que lois de police peut renforcer l'État de droit dans sa dimension internationale.

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IV. Indépendance judiciaire et la coopération judiciaire en matière civile

Une autre composante de l'État de droit, l'exigence de l'indépendance judiciaire, peut aussi éventuellement avoir une influence sur l'application des dispositions de droit international privé à travers la clause de l'ordre public, en particulier en relation avec la reconnaissance et l'exécution des décisions étrangères. D'après l'article 81, paragraphe 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) « L'Union développe une coopération judiciaire dans les matières civiles ayant une incidence transfrontière, fondée sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires et extrajudiciaires ».[24] Donc, la reconnaissance mutuelle des décisions étangères est la pierre angulaire de la coopération judiciaire en matière civile. Dans l'UE, la reconnaissance mutuelle des décisions peut être liée à la confiance mutuelle des États membres. La reconnaissance signifie la confiance en un autre ordre juridique. Cette confiance s'étend également à la qualité de l'État de droit du pays où la décision a été rendue.

Au sein de l'UE, dans la perspective d'une coopération judiciaire en matière civile et pénale, l'indépendance judiciaire en tant que composante de l'État de droit n'a pas seulement signification pour les États individuels, mais aussi pour la mise en æuvre du tout le système de coopération judiciaire basé sur la confiance mutuelle.[25] La CJUE a confirmé à plusieurs reprises que le manque d'indépendance judiciaire peut justifier le refus de reconnaître ou exécuter une décision judiciaire rendue dans un autre État membre. Bien que ces constatations fussent faites par rapport à la coopération judiciaire en matière criminelle, et en particulier à l'exécution du mandat d'arrêt européen, l'exigence du respect de l'indépendance judiciaire en va sans doute de même pour la coopération judiciaire dans les matières civiles. Dans des affaires relatives à la possibilité de l'ordonnance d'exécution par les notaires en Croatie en vertu du règlement Bruxelles I[26] ainsi que du règlement n° 805/2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées,[27] la CJUE a noté que pour qualifier comme une « juridiction » au sens de ces règlements les décisions à exécuter ont dû être rendues dans une procédure judiciaire assurant les garanties d'indépendance et d'impartialité de même que le respect du principe du contradictoire.[28] Une telle exigence découle du principe de confiance mutuelle.

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À l'égard de l'exécution du mandat d'arrêt européen, la CJUE a constaté que l'exécution peut être refusée quand il est prouvé d'abord que dans l'État membre d'émission en raison de défaillances systémiques ou généralisées concernant l'indépendance judiciaire il existe un risque réel de violation du contenu essentiel du droit fondamental à un procès équitable, et deuxièmement qu'en l'espèce il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée courra un tel risque en cas de sa remise à l'État membre d'émission.[29] On peut supposer que les mêmes facteurs, c'est-à-dire les préoccupations générales et concrètes doivent être rassemblées pour le refus d'une décision étrangère rendue dans l'UE dans des matières civiles. Une telle situation est concevable quand généralement des préoccupations sérieuses existent à l'égard de l'État membre où la décision a été rendue quant au respect de l'indépendance judiciaire et dans le cas concret les droits du défendeur, y compris son droit à se défendre, ont été violés. La clause d'ordre public des règlements sur la reconnaissance et l'exécution des décisions en matières civiles peut être utilisée pour justifier le refus.[30] Dans la littérature, l'opinion a aussi apparue que l'exigence relatives aux défaillances systémiques ou généralisées devraient être mise à l'écart en matières civiles, parce qu'au contraire aux matières pénales il n'y a pas besoin d'évaluer prospectivement le risque des violations des droits fondamentaux (comme en cas de la remise d'une personne à un autre État membre dans le but de poursuite pénale ou pour l'exécution d'une peine privative de liberté), mais le juge peut établir rétrospectivement sur la base de preuves déjà disponibles si la décision dont la reconnaissance et exécution sont requises a porté atteinte aux droits fondamentaux.[31] Cependant, il est à noter qu'une telle distinction entre les matières pénales et civiles n'a pas été faite par la CJUE.

V. Changement de méthodologie en droit international privé ?

Après avoir vu comment les composantes matérielles de l'État de droit apparaissent en droit international privé, et surtout comment les droits humains sont admis dans le système du droit international privé à travers l'exception d'ordre public ou en tant que lois de police. Toutefois, plus généralement à cause de l'impact des droits humains sur l'application

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des règles de droit international privé, plusieurs auteurs parlent d'un changement de méthodologie en droit international privé. Le modèle savignien coexiste avec une autre méthode, la méthode de reconnaissance qui est basée directement sur un élément de l'État de droit, notamment le respect des droits humains des personnes concernées.

Ce qui n'est pas une nouveauté c'est que le droit international privé gère la reconnaissance du statut personnel en déterminant les conditions et les circonstances pour qu'un statut ou droit acquis à l'étranger soit refusé. En effet depuis longtemps les codes de droit international privé contiennent des dispositions relatives à la reconnaissance des décisions étrangères. Or la reconnaissance d'une décision étrangère rend possible à la fois la reconnaissance du droit ou statut établi par la décision.

Cependant, la tendance plus récente issue de la pratique judiciaire de deux grandes juridictions européennes, la CJUE et la CEDH, requiert davantage la reconnaisance des statuts juridiques établis à l'étranger. Quant à la manière de la réalisation de la reconnaissance dans les différents systèmes juridiques, la CJUE et la CEDH donnent une marge de manæuvre pour les États membres / États parties. En tout état de cause, cette pratique judiciaire en développement ne laisse pas intact le droit international privé.

En droit de l'UE, le principe de la reconnaissance mutuelle s'est affermi dans le droit du marché intérieur, et avant tout à propos de la libre circulation des marchandises en partant du fameux arrêt Cassis de Dijon.[32] Cependant, l'exigence de la reconnaissance est apparue plus tard par rapport à la reconnaissance du nom acquis[33] par des citoyens européens à l'étranger et la reconnaissance des personnes morales établies dans d'autres États membres.[34]

La CEDH a confirmé avec plusieurs arrêts, et en particulier par rapport à l'adoption à l'étranger[35] ainsi qu'à la maternité de substitution et l'établissement du statut parental[36] que la reconnaissance du statut étranger est justifiée pour protéger avant tout le droit au respect de la vie privée et familiale.

Pour le parallélisme bien connu des pratiques de la CJUE et la CEDH, on trouve non seulement des preuves issues de la pratique de la CJUE, mais plus encore dans les dispositions de l'article 52, paragraphe 3 de la Charte des droits fondamentaux de l'UE qui déclare que « Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. » La Charte se réfère explicitement au

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droit au respect de la vie privée et familiale et à la liberté de circulation et de séjour, alors que concernant des personnes morales c'est la liberté d'entreprise prévue par l'article 16 qui prévaut. L'échange en résulte facilement entre les pratiques des deux cours dans des domaines aussi pertinents pour le droit international privé.

L'exigence de la reconnaissance veut rendre possible la continuité d'un statut juridique établi conformément au droit d'un État étranger, ainsi que l'exercice des droits liés dans un État pour assurer les libertés fondamentales provenant de droit de l'UE et les droits fondamentaux consacrés par la Convention. Une telle reconnaissance a bien sûr certaines conditions et limites. Avant tout, une certaine connexion est généralement requise entre la personne concernée et l'État, selon le droit duquel est issu le statut. De plus, la reconnaissance d'un statut établi à l'étranger peut être refusée pour certaines raisons, y compris la protection de l'ordre public[37] et la prohibition de l'abus de droit.[38]

Sous l'effet des décisions de la CJUE et la CEDH, la question s'est posée de savoir si l'obligation de reconnaître, consacrée par les arrêts, remplace la méthode traditionnelle du droit international privé. Car le principe de la reconnaissance n'est pas issu de la question de savoir si le statut juridique a été créé valablement en vertu de la loi matérielle désignée par les règles de conflit du for, mais plutôt si cela est arrivé selon les règles de droit (y compris les règles de conflit) de l'État étranger. Si oui, le statut juridique créé valablement à l'étranger doit être reconnu.[39] On peut rejoindre la position selon laquelle la CJUE et la CEDH exigent qu'un statut juridique créé à l'étranger soit reconnu conformément aux dispositions du TFUE ainsi que de la Convention européenne des droits de l'homme. Il n'est cependant pas essentiel de quelle manière la reconnaissance est effectuée et elle n'est pas déterminée ni par la Convention, ni par le droit de l'UE.[40] Ce qui veut dire que les méthodes traditionnelles, soit la méthode conflictuelle et la reconnaissance procédurale des décisions étrangères peuvent demeurer applicables. Ce qui compte c'est le résultat, c'est-à-dire si le droit interne, y compris les règles de conflit et les règles matérielles dans leur interaction, rend possible la reconnaissance ou non. Ainsi, les deux approches existent en parallèle : la technique du droit international privé basée sur les règles de conflit et la reconnaissance

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des décisions étrangères ainsi que la jurisprudence de la CJUE et la CEDH axée sur le résultat qui requiert la reconnaissance des statuts créés à l'étranger pour la sauvegarde des libertés fondamentales de l'UE, ainsi que des droits fondamentaux consacrés par la Convention européenne des droits de l'homme. L'exigence du droit de l'UE et de la Convention forment un cadre conforme auquel les États membres et les États parties peuvent modeler leur règles de droit international privé. De cette manière, l'obligation de la reconnaissance peut être remplie de diverses manières. Elle est un concept rapporté au résultat.

Une partie de la littérature trouve désirable l'évolution progressive de la jurisprudence bâtie sur le principe de reconnaissance[41] ou l'établissement d'une règle de reconnaissance générale dans le droit de l'UE,[42] tandis que d'autres auteurs émettent des critiques envers l'application plus large du principe de reconnaissance, premièrement à cause du manque de contours précis de la reconnaissance.[43] En particulier, il faut ajouter que l'opinion est apparue dans la littérature qui critique le principe de pays d'origine, et donc la méthode de la reconnaissance du point de vue de l'État de droit qui portent atteinte à la sécurité juridique.[44] De ce point de vue, les exigences liées à l'État de droit entrent en conflit avec la méthode de reconnaissance qui est prévue d'ailleurs juste pour la protéction des droits fondamentaux, une composante essentiel de l'État de droit.

VI. Conclusions

Bien que la littérature juridique ne prête pas beaucoup d'attention à la relation entre le droit international privé et l'État de droit, il est évident que les exigences liées à l'État de droit ont un impact significatif sur la méthode et l'application des règles de droit international privé. À première vue, l'approche mécanique de la méthode conflictuelle classique correspond largement à la conception formelle de l'État de droit dans la mesure où elle met l'accent sur la sécurité juridique et la prévisibilité lors de la désignation de la loi applicable. Cependant, même au sein de la méthode classique, les éléments de l'État de droit peuvent se faire valoir, surtout à travers la clause d'ordre public ou comme des lois de police. De plus, les exigences relatives à l'État de droit, et en particulier le respect des droits fondamentaux, influencent également la méthodologie du droit international

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privé. À côté de la méthode conflictuelle classique, grâce à la jurisprudence de la CJUE et la CEDH la méthode de reconnaissance gagne davantage d'admissibilité en droit international privé.

Enfin, on peut faire allusion à une affaire récente d'insolvabilité où des questions préjudicielles étaient renvoyées à la CJUE par un tribunal bulgare qui, parmi d'autres, concernaient directement le respect de l'État de droit dans le contexte de l'espace de liberté, de sécurité et de justice en se référant directement à l'article 2 du TUE.[45] On demeure sans réponse à cette question, parce que la CJUE a considéré le renvoi comme manifestement irrecevable. Néanmoins, il est concevable qu'à l'avenir de plus en plus d'affaires surgiront où les tribunaux nationaux ou la CJUE devront apprécier si la mise en æuvre des règles de droit international privé correspond aux exigences de l'État de droit. ■

REMARQUES

* Cette contribution est la version écrite de la conférence de l'auteur au colloque « Changement de l'État de droit » organisé par la Faculté de droit de l'Université Eötvös Loránd le 24 mai 2022.Abstract

[1] A. V. Dicey, A Digest of the Law of England with Reference to the Conflict of Laws, (Stevens and Sons Limited, London, 1896).

[2] Voir S. Beaulac, « The Rule of Law in International Law Today » dans G. Palombella et N. Walker (dir. publ.), Relocating the Rule of Law, (Hart, Oxford, 2009) 197., https://doi.org/10.5040/9781472564634.ch-009 ; R. McCorquodale, « Defining the International Rule of Law: Defying Gravity? », (2016) 65 (2) International and Comparative Law Quarterly, 277-304., 277., https://doi.org/10.1017/S0020589316000026 ; Société Française pour le Droit International, L'Etat de droit en droit international - Colloque de Bruxelles, (Pedone, Paris, 2009) ; A. Moine, « L'État de droit, un instrument international au service de la paix », (2016) 2 (37) Civitas Europa, 65-93., 65., https://doi.org/10.3917/civit.037.0065

[3] L. M. Austin et D. Klimchuk, « Introduction » dans L. M. Austin et D. Klimchuk (dir. publ.), Private Law and the Rule of Law, (OUP, Oxford, 2014) 1., https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780198729327.003.0001 ; W. Lucy, « The Rule of Law and Private Law » dans L. M. Austin et D. Klimchuk (dir. publ.), Private Law and the Rule of Law, (OUP, Oxford, 2014) 41-42., https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780198729327.003.0003

[4] Austin et Klimchuk, « Introduction » 1.

[5] A titre d'exceptions, on peut mentionner M. Hazelhorst, « Mutual Trust Under Pressure: Civil Justice Cooperation in the EU and the Rule of Law », (2018) 65 Netherlands International Law Review, 103-130., https://doi.org/10.1007/s40802-018-0112-y ; V. Heuzé, « D'Amsterdam à Lisbonne, l'État de droit à l'épreuve des compétences communautaires en matière de conflits de lois », (2008) (30) La Semaine juridique - Edition générale (JCP G), 20-23 ; V. Heuzé, « Construction européenne, État de droit et droit international privé » dans V. Heuzé et J. Huet (dir. publ.), Construction européenne et Etat de droit, (Éditions Panthéon-Assas, Paris, 2012) 123-134 ; D. P. Stewart, « Private International Law, the Rule of Law, and Economic Development », (2011) 56 (3) Villanova Law Review, 607, mais ce dernier article conçoit le droit international privé dans un sens plus ample qu'on fait ici.

[6] Traité sur l'Union européenne, JO C 202 du 7.6.2016, 13-45.

[7] Voir G. Hamza et A. Sajó, « Savigny a jogtudomány fejlődésének keresztútján » [Savigny au croisement du développement de la science juridique], (1980) 23 Állam- és Jogtudomány, 79-111., 85-86.

[8] U. Seif, « Savigny und das Internationale Privatrecht des 19. Jahrhunderts », (2001) 65 (3) Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht, 492-592., 508-510., https://doi.org/10.1628/0033725014029095

[9] J. R. Maxeiner, « Some Realism About Legal Certainty in the Globalization of the Rule of Law » (2008) 31 (1) Houston Journal of International Law, 27-46., 38.

[10] Heuzé, Construction européenne, État de droit et droit international privé, 130.

[11] F. Pförtner, « Internationales Privatrecht und Menschenrechte: Kollisionsrechtliche Fragen zur zivilrechtlichen Haftung für Menschenrechtsverletzungen », dans S. L. Gössl (dir. publ.), Politik und Internationales Privatrecht, (Mohr Siebeck, Tübingen, 2017) 97 et 99.

[12] Concernant le rapport entre l'exception de l'ordre public et les droits humains, voir J. Oster, « Public Policy and Human Rights », (2015) 11 (3) Journal of Private International Law, 542-567., https://doi.org/10.1080/17441048.2015.1096144 ; M. Hirschboeck, « Conceptualizing the Relationship between International Human Rights Law and Private International Law », (2019) 60 (2) Harvard International Law Journal, 181-199.

[13] Règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d'insolvabilité, JO L 141 du 5.6.2015, 19-72, art 33.

[14] Voir Affaire C-7/98 Dieter Krombach c. André Bamberski, EU:C:2000:164, para 44.

[15] F. Mosconi, « Exceptions to the Operation of Choice of Law Rules » dans Recueil des Cours de l'Académie de droit international, Vol. 217, 1989 (Martinus Nijhoff, Dordrecht, Boston, London, 1990) 20.

[16] Krombach, para 37 ; Affaire C-38/98 Régie nationale des usines Renault SA c. Maxicar SpA et Orazio Formento, EU:C:2000:225, para 30.

[17] Renault c. Maxicar, para 30.

[18] Krombach, para 44.

[19] Oster, « Public Policy and Human Rights », 552-553.

[20] Ibid., 553.

[21] Hirschboeck, « Conceptualizing the Relationship between International Human Rights Law and Private International Law », 194.

[22] Negrepontis-Giannisis c. Greece, no. 56759/08, 3 mai 2011.

[23] Voir Affaire C-149/18 Agostinho da Silva Martins c. Dekra Claims Services Portugal SA, EU:C:2019:84, para 28.

[24] Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, JO C 202 du 7.6.2016, 47-390.

[25] Hazelhorst, « Mutual Trust Under Pressure: Civil Justice Cooperation in the EU and the Rule of Law », 104.

[26] Règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, JO L 351 du 20.12.2012, 1-32.

[27] Règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées, JO L 143 du 30.4.2004, 15-39.

[28] Affaire C-551/15 Pula Parking d.o.o. c. Sven Klaus Tederahn, EU:C:2017:193, para 54 ; Affaire C-484/15 Ibrica Zulfikarpašicć. Slaven Gajer, EU:C:2017:199, para 43.

[29] Affaire C-216/18 PPULM, EU:C:2018:586 ; Affaires jointes C-354/20 PPU et C-412/20 PPUL et P, EU:C:2020:1033.

[30] Voir Règlement Bruxelles I, art 45, para 1, point a) ; Règlement (UE) 2019/1111 du Conseil du 25 juin 2019 relatif à la compétence, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, ainsi qu'à l'enlèvement international d'enfants, JO L 178 du 2.7.2019, 1-115, art 38, point a) ; art 39, para 1, point a). Voir aussi Hazelhorst, « Mutual Trust Under Pressure: Civil Justice Cooperation in the EU and the Rule of Law », 109.

[31] Hazelhorst, « Mutual Trust Under Pressure: Civil Justice Cooperation in the EU and the Rule of Law », 122-123.

[32] Affaire 120/78 Rewe-ZentralAGc. Bundesmonopolverwaltung für Branntwein, EU:C:1979:42.

[33] Affaire C-353/06 Grunkin et Paul, EU:C:2008:559.

[34] Affaire C-208/00 Überseering BV c. Nordic Construction Company Baumanagement GmbH (NCC), EU:C:2002:632.

[35] Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no. 76240/01, 28 juin 2007; Negrepontis-Giannisis c. Greece, no. 56759/08, 3 mai 2011.

[36] Mennesson c. France, no. 65192/11, 26 juin 2014; Labassee c. France, no. 65941/11, 26 juin 2014.

[37] Affaire C-208/09 Ilonka Sayn-Wittgenstein c. Landeshauptmann von Wien, EU:C:2010:806.

[38] Affaire C-438/14 Nabiel Peter Bogendorff von Wolffersdorff c. Standesamt der Stadt Karlsruhe et Zentraler Juristischer Dienst der Stadt Karlsruhe, EU:C:2016:401, para 57.

[39] Voir P. Lagarde, « Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification : quelques conjectures », (2004) 68 (2) Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht, 225-243., 233., https://doi.org/10.1628/0033725043640922

[40] C. Kohler, « Towards the Recognition of Civil Status in the European Union », in Yearbook of Private International Law (2013/2014), (Vol. 15, Otto Schmidt/De Gruyter, Romano, Berlin, Boston, 2014, 13-30), 21., https://doi.org/10.1515/9783866536081.13 ; M. Lehmann, « Recognition as a Substitute for Conflict of Laws? », Forthcoming, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2676015 (consulté le 30.12.2022), 1, 25 ; H-P. Mansel, « Anerkennung als Grundprinzip des Europäischen Rechtsraums », (2006) 70 (4) Rabels Zeitschrift für ausländisches und internationales Privatrecht, 651-731., 678., https://doi.org/10.1628/003372506778825269

[41] Lagarde, « Développements futurs du droit international privé dans une Europe en voie d'unification : quelques conjectures », 242.

[42] Lehmann, « Recognition as a Substitute for Conflict of Laws? », 43.

[43] D. Heinrich, « Anerkennung statt IPR: Eine Grundsatzfrage », (2005) 25 Praxis des Internationalen Privat- und Verfahrensrechts, 422-424.

[44] Heuzé, Construction européenne, État de droit et droit international privé, 130 ; V. Heuzé, « De la compétence de la loi du pays d'origine en matière contractuelle ou l'anti-droit européen » dans Mélanges en l'honneur de Paul Lagarde : Le droit international privé : esprit et méthodes, (Dalloz, Paris, 2005) 393.

[45] Affaire C-647/18 Corporate Commercial Bank c. Elit Petrol AD, EU:C:2020:13.

Lábjegyzetek:

[1] L'auteur est LL.M., PhD, Dr. habil. est privat-docent à l'Université Eötvös Loránd (ELTE) de Budapest.

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